Une cérémonie d’hommage est organisée, vendredi 18 mars, au musée du Bardo à Tunis, un an après l’attentat revendiqué par l’organisation Etat islamique (EI), qui a fait 22 morts, dont 21 touristes étrangers dans la capitale tunisienne. Le ministre français des affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault, doit y assister.
Depuis cet attentat, la Tunisie est plus que jamais sous la pression de l’EI. Le pays a été touché par deux autres attentats (dans la station balnéaire de Sousse, en juin 2015, contre un bus de la garde présidentielle, en novembre 2015) revendiqués par l’EI, et par une attaque spectaculaire menée par cette dernière, le 7 mars, à Ben Gardane, principale ville tunisienne sur la frontière avec la Libye.
Ces derniers affrontements, au-delà de leur portée symbolique (l’occupation physique du cœur d’une grande ville était une première, tout comme la tentative de ralliement de la population), ont confirmé la gravité du défi djihadiste auquel la Tunisie doit faire face.
Une forte expansion depuis plus d’un an
Depuis fin 2014 et début 2015, l’EI n’a cessé d’élargir son influence au sein d’une galaxie djihadiste en Tunisie jusqu’alors dominée par la brigade Okba Ibn-Nafaa, affiliée à Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), très active dans les massifs montagneux du centre-ouest, près de la frontière algérienne.
L’ascendant pris par l’EI résulte de sa plus grande capacité à attirer désormais une frange radicalisée de la jeunesse tunisienne qui, réactualisant une vieille tradition tunisienne de moudjahidin (combattants) s’enrôlant sur des fronts étrangers (causes du nationalisme arabe dans les années 1950, 1960 et 1970), est particulièrement exposée à la tentation du djihad international.
Selon des chiffres contenus dans une étude des Nations unies publiée l’été 2015, quelque 5 500 Tunisiens seraient partis se battre sur divers fronts étrangers du djihad (tous groupes confondus). La Syrie en absorbe l’essentiel (4 000), devant la Libye (entre 1 000 et 1 500).
L’autre raison de l’hégémonie acquise par l’EI dans la mouvance djihadiste est que le réseau de l’AQMI a davantage été touché par la répression des forces de sécurité. Au lendemain de l’attentat du musée du Bardo, les autorités ont mené une offensive résolue contre les maquis d’Okba Ibn-Nafaa dans le centre-ouest, tuant, le 28 mars 2015, son chef, l’Algérien Khaled Chaib, alias Lokman Abou Sakhr. Sa mort a de toute évidence affaibli la brigade liée à AQMI.
L’effet de « contagion » du conflit libyen
L’enracinement de l’EI en Tunisie se nourrit directement de sa dynamique d’implantation dans la Libye voisine, où le chaos politico-militaire a permis l’éclosion de bases djihadistes.
Les djihadistes tunisiens sont en nombre à Syrte, la place forte de l’EI sur le littoral central de la Libye, mais ils étaient aussi très actifs autour de Sabratha (située à 100 km de la frontière tunisienne), où l’EI disposait d’une présence plus discrète.
Le raid américain du 19 février contre une ferme près de Sabratha, où une cinquantaine d’extrémistes (dont la majorité était de nationalité tunisienne) ont péri, a redistribué la donne stratégique dans cette région.
Confrontés désormais à l’hostilité de milices libyennes liées à Fajr Libya (« aube de la Libye »), la coalition politico-militaire qui domine la région de la Tripolitaine à partir de Tripoli, les groupes de l’EI ont dû se disperser, ce qui a eu pour effet de les rabattre sur la frontière tunisienne toute proche.
Le risque du « retour au pays » des djihadistes présents en Libye
Selon des analystes à Tunis, le projet d’établir une willaya (province) de l’EI à Ben Gardane a pu voir sa tentative d’exécution accélérée. Les assaillants du 7 mars ont pu agir – dans un premier temps – avec d’autant plus d’aisance que nombre d’entre eux étaient originaires de la ville. Ils opéraient d’une certaine manière leur retour au pays après le détour libyen.
C’est cet effet boomerang qui n’en finit pas de menacer désormais la Tunisie, dont la transition démocratique post-2011 est un contre-modèle à abattre pour les djihadistes.
Par Frédéric Bobin (Tunis, correspondant)