Assise ou Lépante ?

C’est une comparaison musicale qui permet de rendre compte du livre que consacre au « défi de la rencontre » – entre chrétiens et musulmans – le frère Gwenolé Jeusset, franciscain, ancien responsable du Secrétariat pour les Relations avec l’Islam (SRI [2]) des évêques de France.

Comme dans un morceau de Bach où l’art du contrepoint fait se superposer harmonieusement les thèmes, G. Jeusset y recourt en effet à divers registres d’écriture. Le témoignage de ses expériences de vie mais aussi de ses rencontres et du dialogue institutionnel, ses responsabilités au SRI mais aussi le récit d’évènements personnels qui ont jalonné son parcours, et la méditation de textes bibliques ou ecclésiaux  qui l’ont accompagné. A la suite de son précédent ouvrage (Itinérance en terres d’islam, éditions du Mailletard, Paris 2004), il se fonde sur l’expérience de plus de quatre décennies vécues « hors les murs », pour décrire les chemins de la rencontre, leurs pièges possibles, et ouvrir le lecteur aux  riches enjeux humains et spirituels du dialogue. Une rencontre et un dialogue qu’il a profondément vécus en France comme en Orient,  notamment en Egypte puis à Istanbul.

Une première partie du livre est consacrée aux « obstacles à la rencontre » et aux voies permettant de les surmonter pour accéder à un dialogue qui n’occulte pas les différences mais sait les assumer.  Le chapitre 5 (pages 97 à 114) qui clôt cette partie, traite des « mots qui font peur », que ce soit aux musulmans (mission, évangélisation, laïcité…) ou aux chrétiens (charia, djihad, voile…), dont l’auteur s’emploie de façon très pertinente à éclairer le sens pour les « déminer ». Dans la seconde partie, intitulée « un chemin spirituel auquel je ne m’attendais pas »,  on retiendra particulièrement l’appel à une  église de la gratuité, qui accepte « d’être illuminée par l’autre » (p. 160), et ses réflexions sur la prière, au cœur des deux religions : comment prier pour les autres, avec les autres, chez les autres  (pages 208 à 218).

Ce livre écrit dans un style direct et vif, est nourri d’expériences concrètes et de l’évocation de belles figures humaines, croyantes et non-croyantes. Il se termine sur une prière, rédigée par G. Jeusset pour une rencontre interreligieuse, dont les mots restent très actuels, comme dans cet extrait  (p. 234) :

« Dieu briseur de guerre, comme il est dit au Livre de Judith, détruis le fanatisme dès qu’il se glisse dans le cœur des croyants, quelle que soit leur religion. Fais fondre la peur qui engendre la haine qu’ils croient bénie de toi. (…) Ne laisse jamais nos cœurs se transformer en ghetto. »

Bertrand Wallon

[1] – Assise renvoie bien sûr à St François d’Assise (1182-1226) et à sa rencontre avec le  sultan al-Malik al-Kâmil, en 1219, à Damiette (Egypte),  en pleine croisade : http://catholique-valence.cef.fr/Francois-d-Assise-et-les-musulmans.html .

C’est à Assise que le pape Jean-Paul II invita des représentants de toutes les religions du monde à venir prier pour la paix universelle, le 27 octobre 1986. Il présenta ainsi la journée : « J’ai choisi cette ville comme lieu de notre journée de prière pour la paix, à cause de la signification particulière de l’homme vénéré ici. François d’Assise, connu et respecté par de si nombreuses personnes dans le monde entier comme un symbole de paix, de réconciliation et de fraternité ».

• A Lépante, en Grèce, eut lieu, le 7 octobre 1571, une importante bataille navale où s’affrontèrent chrétiens et musulmans pour le contrôle de la Méditerranée. La bataille s’inscrit sur fond de tensions géopolitiques et religieuses, avec la montée de l’expansionnisme musulman ottoman en Méditerranée qui menace les puissances chrétiennes : https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_L%C3%A9pante

[2] Le Secrétariat pour les Relations avec l’Islam – de la Conférence des évêques de France – est devenu le SRNM, le Service National pour les Relations avec les Musulmans : http://www.relations-catholiques-musulmans.cef.fr/