Titre

Fuocoammare, par-delà Lampedusa

Réalisateur

Gianfranco Rosi

Pays

,

Type

film

Année

Février 2016

Date de publication

7 décembre 2016

Fuocoammare, par-delà Lampedusa

 

 

Le documentariste italo-américain Gianfranco Rosi, né en 1964 à Asmara en Erythrée, qui a déjà obtenu le Lion d’or à Venise 2013 pour Sacro GRA[1], a passé plus d’une année sur l’île de Lampedusa, qu’il associait aux tragédies migratoires de notre temps avant de découvrir, à son arrivée, le centre d’accueil fermé et pendant des mois une île  apparemment sans lien aucun avec l’émigration.

C’est que depuis l’opération   Mare Nostrum   lancée par les Italiens en 2013 pour venir en aide aux migrants clandestins, les embarcations n’accostent plus sur l’île mais sont interceptées en pleine mer et leurs occupants envoyés dans divers centres d’Italie, la frontière  étant déplacée ainsi dans les flots,  à distance de l’île.

Après avoir exploré le quotidien des îliens le cinéaste a choisi quelques personnes et tout particulièrement le jeune  préadolescent Samuele, de 11 à 12 ans, voyant en le filmant que son monde intérieur était le reflet du monde extérieur. Tout naturellement cela a constitué les deux histoires que raconte le film : celle des migrants et celle de Lampedusa à travers le regard de cet enfant, deux histoires qui  ne se rencontrent jamais, à l’instar de ce qui se passe à travers l’Europe.

Pour raconter Lampedusa, il suit l’enfant dont les jeux simulent la guerre, qui a du mal à s’adapter au monde marin instable, qui consulte le médecin pour un œil paresseux à réadapter et des crises d’angoisse, autant de maux métaphoriques des troubles de nos sociétés. Avec l’espoir timide de voir qu’après avoir tiré sur les oiseaux, il cherche à en apprivoiser un, par un patient susurrement clôturant le film… « Ecoutez ce qu’ils se disent, c’est là le secret du film ! », nous dit G. Rosi.

Pas de lien en effet en apparence entre ces deux histoires, si ce n’est le titre… mais aussi les résonances que le spectateur doit percevoir dans ce film souvent contemplatif, sans voix off.

Car Fuocoammare, « Fuoco a mare » « la mer en flammes», c’est le titre d’une chanson datant de l’époque où les hommes, pendant la Seconde guerre mondiale, avaient peur de s’embarquer la nuit sur une mer enflammée par les bombardements. Maria, la grand-mère, téléphone à l’animateur de radio de l’île pour qu’il la passe en souvenir de son mari décédé, toujours bien présent dans la photographie trônant sur la table de nuit. Et lorsque Maria raconte ces temps difficiles à son petit-fils, le tonnerre gronde et le vent souffle, comme pendant la guerre. Aujourd’hui encore la réalité gronde autour de l’île. C’est ainsi que se tissent, sans parole, les résonances subtiles entre les deux époques.

Rosi a passé des mois avec  les équipes de secours à bord de leur navire, puis  des journées sur les navires des garde-côtes ainsi que dans le centre d’accueil. Pas d’embarcation en vue pendant des semaines, alors il a filmé ce bateau comme un navire fantôme ; en ouverture du film on entend des voix qui appellent au secours à la radio puis peu à peu le bateau prend vie jusqu’à la tragédie arrivée un jour qu’il filmait ce qu’il croyait être une opération de routine, et qu’il s’est trouvé face à face avec la mort – qu’il a décidé, après délibération, de filmer.

Ainsi ce beau film déconcertant tient magnifiquement un rôle important de témoignage pour dire ce qui se passe, le montrer, alliant, avec originalité et force, la rigueur du documentaire et la dimension métaphorique du récit.

Pascale Cougard

[1] A obtenu, pour Fuocoammare, au festival international du film, à Berlin en février 2016 : l’Ours d’Or, le Prix du jury œcuménique, le Prix Amnesty International et le Prix du Jury du Berliner Morgenpost.