Titre

L'Insulte

Réalisateur

Ziad Doueiri

Pays

Type

film

Année

2017. Sorite en salles le 31/01/2018.

Date de publication

18 mai 2018

L’Insulte

Inspiré d’un incident vécu personnellement, le dernier film du réalisateur franco-libanais plaide avec sensibilité pour un travail de mémoire sur les cicatrices de la guerre civile et montre un chemin de paix possible, à travers un litige de voisinage entre un chrétien libanais et un réfugié palestinien.

Le film mêle archives et jeu d’acteurs pour évoquer la situation toujours explosive d’un pays aux communautés multiples, mettant en scène l’affrontement de Toni, un petit garagiste du quartier chrétien de Beyrouth, Yassouh, et de Yasser, un réfugié palestinien en situation irrégulière choisi comme chef de chantier pour ses compétences.

Tout commence pour  une question d’écoulement d’eau mal fait, dans un quartier surpeuplé et pauvre. Simple prétexte pour exprimer sa haine à l’autre : du classique « sale con ! », lancé par Yasser exaspéré, à « Ariel Sharon aurait dû vous exterminer ! » aboyé par Toni le pas est vite franchi et le coup de poing part. Mais cette fois il s’agira d’aller voir ce qu’il  y a sous l’insulte et l’exigence d’excuses impossibles à formuler. Toni ayant porté plainte, ce sera à la justice de résoudre l’affaire – qui déborde vite jusqu’à enflammer le pays tout entier, le premier ministre musulman comme le président chrétien réclamant en vain l’apaisement des parties. En effet, derrière le litige de voisinage, c’est tout un passé enfoui et complexe qui remonte : le massacre de Damour, du 9 au 21 janvier 1976, et le massacre de Sabra et Chatila, en réponse à l’assassinat  en 1982 de Bachir Gemayel qui reste la figure inspirante de Toni – et les répercussions du conflit israélo-palestinien toujours vivaces. Bientôt l’insulte a son revers quand Toni, comme son avocat chrétien, est traité de « chien de sioniste ».

Car les avocats, le célèbre Wahbe, mais aussi sa jeune fille Nadine qui pointe dans le code civil la loi indiquant qu’un état d’émotion intense peut être cause d’acquittement, vont chercher tous deux, au fil des découvertes faites sur le passé de leurs clients, à déresponsabiliser leurs actes – insultes et coups – en remontant aux origines des traumatismes de l’un et de l’autre et leur plaidoirie finale résonnera du même constat « personne n’a l’exclusivité de la souffrance » – ouvrant à un travail collectif de mémoire et, peut-être, de pardon.

Le verdict proclamé par la juge Colette Mansour, est un jugement de conciliation, une démarche déjà accomplie de façon toute personnelle par les deux opposants. Le regard qu’ils échangent à la fin, pudique et apaisé, prend alors, au-delà de la situation particulière du Liban, une valeur universelle.

La forme du film de procès tient en haleine le spectateur et prend tout son poids de vérité quand on sait que le réalisateur, issu d’une famille sunnite de juristes a pris sa mère comme conseillère juridique. Avec sa  coscénariste, Joëlle Touma, issue d’une famille chrétienne, ils restent au plus près de leur connaissance intime des clivages, suggérant avec espérance le chemin difficile à faire les uns vers les autres.

Le film met enfin au cœur de son propos le point de vue des femmes, attentives à modérer la situation de conflit, en un même message que celui des films de Nadine Labaki. Que ce soit Shirine la femme de Toni, accouchant d’une fille, la femme chrétienne de Yasser, la juge et la jeune avocate Nadine, figure de la jeune génération qui milite pour le vivre ensemble et le renoncement à la haine.

Ce film[1] qui campe tous les personnages dans leur singularité et leurs relations familiales et professionnelles, magnifiquement interprété, est une étape importante dans le cinéma libanais. À sa façon, qui veut toucher un large public international, il contribue à promouvoir la paix dans un Proche-Orient, où, selon un mot de l’avocat de Toni, « est né le mot « haineux » !

Pascale Cougard

 

[1] Voir dossier de presse et lire l’interview avec Ziad Doueiri