De mes nombreux reportages à Jérusalem, j’en retiendrai particulièrement un : celui que j’ai effectué en mai 1996, à l’occasion de la célébration du 3éme millénaire de la fondation de la ville « trois fois sainte ». Et ma rencontre avec des médecins de l’hôpital Kfar Shaul, spécialistes du « péril du pèlerin », appelé aussi « syndrome de Jérusalem. »
Dans la cité des trois religions un certain nombre de pèlerins sont frappés d’un mal étrange. Un mal du au lieu, à sa géographie, à son histoire. Chaque année, entre 80 et 150 visiteurs, étrangers pour la plupart, pensent avoir été investis d’une révélation, les envoyant à Jérusalem pour y accomplir une mission divine. A l’époque, le professeur Eliezer Witzum, spécialiste mondialement reconnu en psychiatrie culturelle, m’avait décrit le cas d’un homme, qui se baladait en kilt, dessinant à la peinture noire sur les murs des édifices le nombre 666, le chiffre de la bête de l’apocalypse. Le professeur m’avait aussi parlé de ce Français nu comme un ver, clamant dans la ville, que Napoléon III était l’antéchrist qu’il fallait abattre. « Beaucoup, avaient précisé le médecin, étaient persuadés qu’ils incarnaient un personnage biblique. Des juifs se prenaient pour Abraham et des chrétiens pour Jean-Baptiste ou l’apôtre Luc.» Plus inquiétant, les médecins récupéraient des pseudo-christs, en état de déshydratation, après un jeune de quelques jours au désert, pour y défier le diable.
Pouvait-on soigner cette maladie du pèlerin ? Les spécialistes m’avaient certifié qu’après un simple repos de deux semaines et des calmants, le malade retrouvait la raison. Et que la plupart d’entre-eux rentrait dans leur pays d’origine. Restaient les séquelles, et les risques de rechute possibles ? « Impossible à évaluer, regrettait le professeur Witzum, j’ai bien essayé de leur envoyer un questionnaire : mais je n’ai pas reçu de réponses cohérentes. Et la plupart des « guéris » n’osent plus revenir, de peur de rechuter. »
Luc Balbont