Titre
Le naufrage des civilisationsSous titre
essaiAuteur
Amin MaaloufType
livreEditeur
Paris : Grasset, mars 2019Nombre de pages
331p.Prix
22 €Date de publication
14 mai 2019Le naufrage des civilisations
L’auteur est journaliste, écrivain[1], membre de l’Académie française[2], et constamment travaillé par ce désir de suivre et de connaître les événements du monde. Une curiosité inlassable, un voyageur infatigable, une écriture qui coule de source, alimentent cet essai où il revient sur le passé et médite le présent.
Amin Maalouf raconte les étapes de ce qu’il appelle le naufrage des civilisations. Il centre son propos autour du Proche-Orient, appellation qu’il n’utilise jamais, mais qui tourne autour du Liban, son pays natal. Il décrit une époque qu’il a observée dans le pays du Cèdre comme en Égypte où tout semblait calme dans une coexistence fraternelle entre toutes les communautés. Si cette vie plurielle avait pu survivre, l’humanité dans son ensemble aurait su éviter la dérive que nous observons de nos jours. « C’est à partir de ma terre natale que les ténèbres ont commencé à se répandre dans le monde. » (p. 328)
Un des moments charnières de la déstabilisation qu’il observe est la Guerre des six jours en 1967 (p. 118) qui a fait de la nation arabe un vaincu et d’Israël un vainqueur[3].
Mais d’autres événements ont suivi sur plusieurs continents, notamment en 1979. Avec la révolution en Iran nous pouvons observer un renversement : le conservatisme devient révolutionnaire.
Madame Thatcher est élue pour lancer sa propre révolution conservatrice, R. Reagan, en 1980, va conforter cette tendance. À l’autre bout du monde, en Chine, Deng Xiaoping arrive au pouvoir, en décembre 1978, pour démarrer une nouvelle révolution chinoise. En octobre 1978, un polonais est élu sur le trône de Saint-Pierre, qui allait bouleverser les équilibres entre l’est et l’ouest[4]. Il y a dans tous ces événements, en quelques mois, plus qu’une simple coïncidence.
L’inversion qui s’est produite en 1979 continue à être la clé d’analyse des années récentes. La révolution conservatrice pousse à libéraliser, aux dépens du bien commun. La Chine elle-même s’est mise du côté du capitalisme, du moins en économie, avec des effets redoutés comme les inégalités. Cette libéralisation a pourtant du bon en permettant aux pays du Sud un décollage économique et technique.
Un autre volet des révolutions conservatrices va frapper le monde : l’aggravation des tensions identitaires (p. 217). L’année 1979 est celle d’un grand retournement, en déclenchant des turbulences identitaires sous la forme de l’islamisme radical, en Iran, en Afghanistan, en Arabie Saoudite, etc. Le choc pétrolier de 1973 n’est pas étranger à ces événements car il provoque une tension économique qui se répercute au niveau politique. L’auteur raconte aussi sa propre histoire lorsqu’il accompagna Khomeiny dans son voyage de retour de Paris vers Téhéran.
La dernière partie de ce livre s’intitule, « Un monde en décomposition ». Les conflits sont en effet innombrables à l’intérieur du monde arabe musulman. La tendance à la tribalisation se développe, y compris en Europe de l’Ouest avec les volontés d’indépendance de la Catalogne, de l’Écosse, ou le séparatisme britannique. L’auteur y décèle un « esprit du temps », une « main invisible » où les solidarités humaines se défont, au nom d’une idéologie fondée sur l’égoïsme sacré des individus et de leur tribu (p. 250).
L’auteur a voulu croire à cette vision rassurante de l’histoire qui serait menée par une bonne étoile. Il veut appliquer cela à la mondialisation : verra-t-on les tensions identitaires refluer puis se dissiper ? Sur la fin de son livre, Amin Maalouf évoque les multiples menaces des surveillances électroniques, du changement climatique, de la course aux armements, du transhumanisme, de la robotisation, pour ne parler que de quelques périls à venir. Tous ces dérapages sont possibles.
Dans un épilogue, Amin Maalouf[5] explique qu’il n’a pas décrit ces naufrages pour décourager les lecteurs, mais pour les inciter à être lucides, sincères, et dignes de confiance. Il rappelle que ceux qui défendent les idées tribales de l’identité, de la nation, de la religion ne préparent qu’un avenir apocalyptique à leurs enfants.
Pierre de Charentenay
[1] Parmi ses livres : Les désorientés.- Grasset, 2012, roman dont on lira la recension sur notre site en cliquant ICI
[2] Élu à l’Académie française, le 23 juin 2011, au fauteuil de Claude Lévi-Strauss : cliquer ICI
[3] Pour en savoir plus sur la Guerre des Six-jours (05-10/06/1967), cliquer ICI et lire aussi l’art. de Piotr Smolar, correspondant à Jérusalem du journal Le Monde, 05/06/2017 : cliquer ICI.
[4] Le 16/10/1978, l’archevêque de Cracovie, Karol Wojtyla était élu pape. Bernard Lecomte, auteur de Le Monde selon Jean-Paul II, revient sur la réaction des catholiques et de l’Eglise au moment de l’élection du Pape polonais, pour l’écouter : cliquer ICI (5.20 mn)
[5] Pour écouter Amin Maalouf, invité des Matins de France Culture le 13/03/2019, cliquer ICI (41 mn). On pourra lire aussi l’art. de Jean-Claude Raspiengeas sur Amin Maalouf, un Levantin désorienté dans La Croix (20-22/04/2019) et l’écouter lors de l’émission La Grande Librairie : cliquer ICI