Titre
LourdesRéalisateur
Thierry Demaizière et Alban TeurlaiPays
FranceType
filmAnnée
2019. Sortie en salles, le 08/05/2019Date de publication
12 juin 2019Lourdes
Cette histoire de bouche à oreille, puisque c’est sur la foi du témoignage d’une amie hospitalière que les réalisateurs, l’un agnostique et l’autre athée, questionnent avec une juste empathie le « quelque chose » de bouleversant qui fait affluer à Lourdes chaque année trois millions de pèlerins, nous emmène au cœur de la condition humaine.
En ouverture le rocher de la grotte, comme de l’eau que des mains caressent, des mains d’hommes et de femmes, de tous âges, de toutes peaux, en un geste confiant, avec ou sans chapelet-bracelet. Le frôlement du sacré, la ferveur, le toucher qui rapproche du divin. Orage, la pluie sur terre, comme un lien entre le ciel et l’humanité. Cette eau de Lourdes – elle est le fil du film, recueillie en biberon, en bidon blanc, coulant sur les bras et les jambes, ramassée sur des chiffons, sur un doudou d’enfant -, oint des corps souffrants et priants. En clôture, le bain intégral en bassin de pierre, tel un baptême, où ces corps devenus familiers, ces corps difformes, ces corps lourds sont plongés dans l’eau fraîche de la source, sous le regard de la frêle statue de Notre Dame de Lourdes.
Le dernier plan fixe le visage de Jean, ancien chef d’entreprise, atteint à l’âge de 43 ans par la maladie de Charcot. Son corps inerte a été débranché de toutes les sondes, plongé dans l’eau à grand-peine, dans le total dénuement. Lorsqu’il surgit de l’eau, seuls les yeux, intensément vivants interrogent puis se ferment paisiblement sur le mystère de l’expérience et sur la certitude qu’il va bientôt mourir…
Le documentaire est le fruit d’une longue enquête dans tous les diocèses pour découvrir, dans la foule qu’est Lourdes – les plans en nocturne où se balancent les bougies-lanternes sont spectaculaires – quelques itinéraires, quelques visages qui vont et reviennent.
Des prêtres (plan magnifique, lors d’une messe, sur leurs visages à la fois priants et stupéfaits de ces pèlerins qu’ils regardent), des religieux, un groupe de prostituées avec un travesti bouleversant, des gitans chahuteurs et superstitieux, un père militaire avec l’un de ses deux fils malades et toute l’organisation militaire de l’Ordre de Malte, une mère et son fils Isidore qui depuis un accident de voiture demeure à vie son bébé, Céline l’adolescente rousse qui ne se sent apaisée qu’après une visite à Lourdes, des vieux et vieilles qui chantent « l’amant de St Jean », et toutes les personnes, souvent jeunes bénévoles dont on découvre les premières émotions, qui les accueillent, les accompagnent, les soignent, les dorlotent, pour que le temps à Lourdes soit un moment de joie et de confort.
Pour la plupart, les pèlerins viennent de milieux populaires, à l’image de Bernadette Soubirous, la petite bergère qui s’était déjà étonnée que la Belle Dame l’ait « regardée comme une personne » – phrase devenue le leitmotiv de Lourdes. C’est une immense ruche qui bourdonne de prières, de processions, d’activités quotidiennes de toutes sortes, au rythme de plans rapides ou plus lents donnant une intense sensation de vitalité.
Paradoxe, car le regard que portent les réalisateurs sur cette ruche n’esquive rien de ce qui se passe ici, cette convergence d’êtres infirmes – dans leurs corps comme dans leur cœur, comme nous le sommes tous -, paralysés, souffrants, au bord de la mort. Avec toute l’ambivalence que cela peut inspirer, comme le père Jean le dit à la fin, en de gros plans sombres sur son visage ravagé : « Les gens cassés nous embêtent », l’infirmité et la mort font peur, font mal.
Mais ici, à Lourdes, tout semble sublimé par le lien aux autres qui se construit peu à peu dans ce temps particulier du pèlerinage, avec des moments d’humour et d’émotion, et par la prière. Elle a une large place dans la composition du film et c’est souvent à travers la prière à Marie, en voix off ou à voix basse, captée avec discrétion par l’ingénieur du son, que se dévoile l’intimité des cœurs, se révèlent les désirs profonds de chacun, les attentes, chuchotées comme on parle directement à une mère.
En complément de ces paroles toujours justes et profondes sur notre souffrance et notre mort, pauvres humains, la musique de Pierre Avia, fidèle compagnon des réalisateurs, souligne les différentes émotions. Il faut attendre le générique de fin, pour que s’élève, prolongation du plan final, un chant à Marie compatissante empli de sérénité. Le chant de l’âme…
Encore un film de qualité qui scrute à hauteur d’homme l’énigme essentielle de la croyance, dans un lieu emblématique ayant déjà suscité bien des questionnements[1].
Pascale Cougard
[1] Voir la bande-annonce, en cliquant ICI (durée : 1’50)