Titre

Réflexions sur la question antisémite

Auteur

Delphine Horvilleur

Type

livre

Editeur

Paris : Grasset, 2019

Nombre de pages

154 p.

Prix

16 €

Date de publication

23 octobre 2019

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Réflexions sur la question antisémite

Pourquoi n’aime-t-on pas les Juifs ? Poser la question aussi brutalement est salutaire en période de repli identitaire et de communautarisme menaçant. Pourquoi n’aime-t-on pas les Juifs ? Choquante cette question, bien sûr, car on ne devrait pas écrire – donc révéler publiquement – ce qui se vit ou se susurre plus ou moins clandestinement. Choquante, mais justifiée. Car ce qui avait disparu de la scène publique, depuis la Shoah, revient. Pas dans les publications, car la Loi est passée par là. Mais dans les conversations, dans les cafés ou les soirées entre amis…

Le pari de l’auteure[1] est excellent : aller chercher dans la tradition juive ce qui fonde l’antisémitisme de la rue. Trouver les correspondances entre ce qui se dit, de moins en moins honteusement, et le terreau culturel juif, Thora, Talmud, histoires juives…

La haine des Juifs, écrit-elle, est une affaire familiale qui plonge dans l’histoire juive racontée générations après générations : elle est l’expression d’une jalousie, d’une compétition entre frères et cousins… Jacob et Esaü dans la Thora. Elle se fonde sur une rupture d’avec les origines et met en place une rancœur ancestrale… Haman, dans le Livre d’Esther [2].

Il s’agit alors, dit le rabbin à sa communauté, de ne pas laisser cette jalousie, cette rancœur monologuer en nous comme si elles disaient tout ce que nous pourrions être. Car ce serait alimenter l’antisémitisme.

La déferlante antisémite du XXème siècle s’est nourrie de la guerre des sexes : il était entendu, chez les idéologues nazis, qu’un Juif n’était pas viril, que la religion juive menaçait l’intégrité physique ou psychologique du mâle et donc l’intégrité de la nation ou du groupe… L’antisémite considère que si le Juif a accès à ce qu’il (lui, l’antisémite) n’a pas (le pouvoir, la richesse), il (lui, le Juif) l’empêche (lui, l’antisémite) dans le même temps d’accéder à la plénitude. Car le Juif n’est pas homme complet aux yeux de l’antisémite : n’est-il pas celui qui est sans patrie et sans Temple depuis 70 après Jésus-Christ, l’homme du manque, du trou ? Le combat des féministes rejoint là le combat antisémite.

Quelle est l’identité juive ? Quitter son pays, comme le fait Abraham ? Constituer un peuple élu, comme le fit Moïse ? Une identité propre en tout cas, sans projet prosélyte. La culture juive est une, mais n’a pas la prétention de vouloir régner sur le monde. C’est ainsi que les Juifs sont, en quelque sorte, à part. Ils font que le monde ne peut être compris comme une entité unique au sein de laquelle règnerait une Vérité unique, perspective universelle que portent le christianisme et l’islam. Où donc est le risque de l’intégrisme religieux ? Pas chez les juifs. Sans doute plus chez les chrétiens ou les musulmans, mais cela notre auteure/rabbin ne l’écrit pas, peut-être par souci du dialogue interreligieux…

Le pari de Delphine Horvilleur est réussi : elle dégage de la tradition juive les linéaments de l’antisémitisme tout en les asséchant. Ainsi la culture juive porte en elle des germes pour l’antisémitisme, mais aussi les antidotes à la haine des Juifs. Une remarque : pour mieux lutter contre la haine antisémite, il faudrait sans doute nommer plus clairement ces antidotes, moins brillamment et plus simplement. Puis aller au fond du fond : définir l’identité juive, à tout le moins la cerner.

Pourquoi conclure comme le fait la rabbin Horvilleur, dans une sorte de pirouette intellectuellement brillante, mais spirituellement insatisfaisante, qu’être juif est de l’ordre de l’indicible ? De toute identité religieuse un peu fouillée, cela pourrait être dit…   Mais la vraie laïcité ce n’est pas le flou identitaire, c’est le libre débat entre les croyances diverses, entre les incroyances et les questionnements.

La République française appelle cela « Liberté Egalité Fraternité »… Mais lorsque l’on parle d’un point de vue religieux, il nous faut aller plus loin que cette seule maxime républicaine, il nous faut cerner au mieux ce que « être juif » veut dire, ce que « être chrétien » signifie, ce à quoi « être athée » renvoie. Et, disons-le avec Paul Ricœur, lorsque le religieux a un contenu il en appelle à la bonté[3]… Traduire cet appel avec la tradition juive serait un plus dans cet ouvrage.

En une période de repli identitaire ce n’est pas faire œuvre d’éducation populaire que d’ouvrir à ce point la question de l’identité dont les humains ont besoin pour vivre ensemble[4].

Bertrand Vergniol[5]  

 

Notes de la rédaction

[1] Delphine Horvilleur est philosophe et rabbin du Mouvement Juif Libéral de France (MJLF), directrice de la rédaction de Tenou’a, revue et atelier. Elle raconte comment elle est devenue « madame le rabbin », dans l’émission de France Inter, Une journée particulière, le 03/03/2019 (durée : 55 mn).

[2] Cf. Dans la Bible, le Livre d’Esther relate, au ch. 3, la manière dont Haman, descendant d’Amalek, avait résolu d’« exterminer, de tuer et d’anéantir tous les juifs, jeunes et vieux, enfants et femmes, en un seul jour. »

[3] Pour Paul Ricœur : « aussi radical que soit le mal, il n’est pas aussi profond que la bonté. Et si la religion, les religions, ont un sens, c’est de libérer le fond de bonté des hommes, d’aller le chercher là où il est complètement enfoui. » (Cf. Entretien avec Paul Ricœur, pendant la Semaine sainte à Taizé, en 2000)

[4] Delphine Horvilleur était reçue sur Akadem, campus numérique juif, lundi 07/01/2019, voir la vidéo de son entretien (durée : 44 mn). Elle était l’invitée – avec le sociologue Danny Trom –  d’Alain Finkielkraut, sur France Culture, dans l’émission Répliques du 02/03/2019, sur L’actualité de l’antisémitisme (durée : 51 mn).

On pourra lire l’article de la théologienne, Anne-Marie Pelletier, dans La Croix, du 06 et du 18/03/2019 :

Mobiliser les chrétiens contre l’antisémitisme ? Voir aussi, sur notre site, la série des  Regards sur l’antisémitisme entre le 22/07 et le 03/09/2019.

[5]  À lire aussi, de Bertrand Vergniol, sur notre site : Jérusalem, un regard protestant et plusieurs recensions dont : La fraternité bafouée : sortir de la peur du “grand remplacement” / Véronique Albanel,

L’Europe est-elle chrétienne ? / Olivier Roy.