Titre
Abraham ou La cinquième AllianceSous titre
romanAuteur
Boualem SansalType
livreEditeur
Paris : Gallimard, 2020Nombre de pages
283 p.Prix
21 €Date de publication
30 mai 2021Abraham ou La cinquième Alliance.
A la manière du don Quichotte de Cervantès, revivant en de multiples avatars, avec l’ironie éclairée de Voltaire dans ses contes philosophiques, Boualem Sansal, pourfend les extrémismes religieux par l’épée de la fiction. Son neuvième roman, très original, met en scène la geste antique d’Abraham, le père des monothéismes, pour comprendre les conflits d’aujourd’hui et affronter les vérités taboues.
L’antique alliance, vieille de plus de quatre mille ans, entre Dieu et Abraham parti à l’aventure pour fonder un peuple saint innombrable, voilà qu’elle se réincarne au fin fond d’un village arabe, Tell al-Muqayyar, près du site archéologique d’Ur en Chaldée, dans un clan héritier de toutes les variantes monothéistes – “arabo-assyro-sémito-chaldéens de confession sunnite châfiite tendance ash’arite le matin et le soir tout le contraire, et en plus ardents défenseurs du dogme selon lequel l’homme est libre de ses actions mais Dieu crée ses actes, bons et mauvais, ou l’inverse” – et dans la personne de l’un des fils du chef, Brahim, appelé Abram.
Il faut dire que l’époque est propice aux prophètes. En cette apocalyptique année 1916, où s’affrontent les empires ottoman, austro-hongrois, anglais, français et allemand, n’est-elle pas la résurgence des guerres d’empires opposant les Hittites, les Égyptiens, les Babyloniens, les Assyriens ou les Perses qui faisaient le contexte politique de la geste d’Abraham ? Il est clair pour Terah, le chef du clan, que “la fringante Europe venait s’installer dans notre Orient vermoulu et le refaire à neuf”, aussi, après avoir consulté ses conseillers, accompagné d’Eliezer le serviteur inspiré, décide-t-il d’aller à la rencontre de Dieu “avec la même spontanéité que nos ancêtres, chacun dans le rôle qui lui est dévolu”, vers un monde nouveau, en suivant l’antique route, vers Harran, en Anatolie d’abord, pour arriver, après de longues tribulations, à Hébron, près des Chênes de Mambré, où se liera la cinquième Alliance, après celle nouée avec Abraham, puis avec Moïse au Sinaï, puis avec Jésus à Nazareth et avec Mohammed à la Mecque.
Le récit que fait le nouvel Abram/Abraham de son exode tout au long d’un XXe siècle chaotique suit à la lettre le texte biblique de la Genèse (11,27-25,34) – dont une traduction est donnée en fin d’ouvrage. Pourtant à tout moment, pendant ses aventures “donquichottesques” il est assailli de doutes, comme ses compagnons qui raisonnent en modernes et connaissent les engagements politiques : comment est-il possible d’incarner la geste prophétique dans un monde où les croyances disparaissent, où les religions se corrompent dans des relations de pouvoir ? Quelle est la part de liberté de l’homme ? Comment interpréter aujourd’hui les textes anciens ? Peut-on jouer un rôle dans le plan divin et modifier les trajectoires désastreuses ? Suspens…
A la lumière de l’histoire et de la géopolitique, avec une ironie lucide et élégante, Boualem Sansal critique les formes obscurantistes et perverties des religions, de l’islam en particulier. Mais, en suivant les pérégrinations de ce petit clan de justes, il retrace l’éternelle quête spirituelle de l’humanité en dialogue avec un Dieu silencieux. Son roman, qui tient le lecteur en haleine, comme tout récit d’aventure, montre des croyants pétris de doutes, de contradictions et d’audace qui, à travers la figure du “père des croyants”, restent à l’écoute des Ecritures, quelles qu’elles soient, pour restaurer une foi trop oubliée.
Le constat historique, géopolitique et religieux désastreux consonne avec notre actualité, tout en faisant entendre l’humble voix de la petite Espérance. Leçon utopique, peut-être, d’une sagesse qui appelle ardemment à la modestie, à la raison et à la paix.
Pascale Cougard
Note de la rédaction
A lire aussi sur notre site les autres recensions de Pascale Cougard et ses critiques de films