Titre
La controverseSous titre
Dialogue sur l’islamAuteur
Rémi Brague et Souleymane Bachir Diagne ; [entretiens menés par Michel Eltchaninoff]Type
livreEditeur
Paris : Stock : "Philosophie magazine" éditeur, 2019Collection
Les EssaisNombre de pages
187 p.- 18 €Prix
18 €Date de publication
24 juillet 2021La controverse.
Ce livre propose une disputatio entre deux philosophes à propos de l’islam dans sa dimension de religion (la civilisation islamique comme telle n‘est jamais évoquée).
Rémi Brague, enseignant à la Sorbonne, catholique, spécialiste de la philosophie antique et médiévale, et Souleymane Bachir Diagne, d’origine sénégalaise, musulman, enseignant à l’Université Columbia (New York), spécialiste de la philosophie islamique, échangent donc leurs arguments dans un débat sans concessions, nourri de nombreuses références. Ce débat a été organisé par la revue Philosophie magazine et son directeur Michel Eltchaninoff.
Dans cette controverse les rôles sont bien situés. Rémi Brague interroge et critique l’islam dans ce qu’il dit de lui-même, pour cela il donne son interprétation de versets controversés dans le Coran. Souleymane Bachir Diagne lui répond en défendant une interprétation qui, tout en s’inscrivant dans la Tradition (nombreuses citations des hadiths, récits prophétiques) fait place à la raison et à la mystique. Brague manie les versets et les critiques point à point alors que Diagne défend une économie générale du texte coranique.
Ils débattent des “questions qui fâchent” à propos de l’islam, en abordant successivement les thématiques suivantes : l’islam au temps de la mondialisation et l’islamophobie, le Coran et la violence, l’islam comme première et dernière religion, la relation de l’islam aux autres religions, l’islam religion politique, la raison dans l’islam, l’islam et la modernité, l’islam et l’islamisme et enfin quelle liberté en islam.
Relevons quelques échanges qui pourront intéresser ceux et celles qui s’interrogent sur le Coran et le message véhiculé aujourd’hui par les musulmans.
Dans le chapitre Le Coran et la violence, Rémi Brague soutient que le Coran contient plus de propos appelant à la violence que les Évangiles. Diagne estime que “la relation entre une religion et la violence n’est pas une relation intrinsèque” (p. 30). Pour Brague la nature même du Coran, un texte révélé par Dieu, à la différence de la Bible rédigée par des humains, rend l’interprétation beaucoup plus complexe. Quant à la question de l’abrogation de versets antérieurs par des versets ultérieurs, Brague considère cette théorie comme intangible alors que, selon Diagne, elle ne concerne que quelques versets. Signalons qu’aujourd’hui beaucoup d’auteurs musulmans mettent en cause cette théorie de l’abrogation.
A propos de la “raison dans l’islam”, Souleymane Bachir Diagne cite le Traité décisif d’Averroès qui indique que “non seulement la démarche rationnelle est permise, mais qu’elle est même obligatoire” et que “si la révélation semble en apparente contradiction avec les exigences de la raison, c’est le signe qu’il faut interpréter le texte […] d’une manière qui le réconcilie avec les exigences de la raison” (p. 106)1. Mais, pour Rémi Brague, Averroès n’a eu ni influence ni postérité dans le monde musulman, d’autant plus qu’il considère “que l’examen rationnel est un devoir, mais uniquement pour ceux qui en sont capables, pas pour les autres” (p. 110). C’est d’ailleurs, pour le philosophe français, une caractéristique de la philosophie islamique : elle est “une affaire d’individus” (p. 116) et les “philosophes sont comme des raisins secs dans un clafoutis” (p. 117).
Le chapitre sur la question de la liberté humaine face à l’absoluité de Dieu montre un débat exigeant. Diagne approfondit l’idée de l’homme-calife, responsable devant Dieu “de la charge de réaliser son humanité”, renvoyant dos à dos le camp rationaliste et le camp déterministe, qui font la part trop belle pour l’un à la liberté et pour l’autre au destin. Rémi Brague souligne le lien entre la liberté et le fait que “nous méritons ce qui nous arrive” ; il ajoute : “Dans le Coran, la réponse est donnée par l’homme de toute éternité, alors que dans le christianisme la réponse reste ouverte.”
Les deux auteurs débattent de “islam et islamisme”. Pour Brague, l’islamisme est “un islam” et la différence entre islamisme et religion musulmane “est plutôt de degré que de nature” (p. 136). Pour Diagne, cette distinction sert à différencier une religion d’une idéologie politique pouvant être violente, et manifeste ainsi “un respect pour la grande majorité des musulmans” (p. 139).
En conclusion, une déception certaine car si Diagne a souhaité “éviter le ping-pong inutile” des versets, on assiste souvent à une interprétation essentialiste du Coran et de l’islam de la part de Rémi Brague face à une attitude d’interprétation ouverte et spirituelle de la part de Souleymane Bachir Diagne. Cet échange intéressant et documenté laisse chaque interlocuteur sur ses positions.
Christophe Roucou2
Institut catholique de la Méditerranée, Marseille (ICM)
Notes de la rédaction
1 Souleymane Bachir Diagne était l’invité, le 05/01/2021 de l’émission Les chemins de la philosophie (France Culture) /A. Van Reeth, sur Averroès : Peut-on être religieux et rationnel ? (58 mn) et, le 10/04/2021, l’invité du Grand face à face (France Inter) / Ali Baddou, sur L’islam des Lumières (54 mn).
2 Voir, sur notre site, les autres recensions et interventions de Christophe Roucou