Titre

Histoire du Coran

Sous titre

Contexte, origine, rédaction

Auteur

Sous la direction de Mohammad Ali Amir-Moezzi, Guillaume Dye

Type

livre

Editeur

Paris : Cerf, 2022

Nombre de pages

1092 p.

Prix

34 €

Date de publication

25 janvier 2023

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Histoire du Coran : contexte, origine, rédaction

Les orientalistes ont, à de rares exceptions près, longtemps souscrit au paradigme forgé par les grands lettrés musulmans dès le Xème siècle de notre ère. Que le Coran, au préalable soufflé à l’oreille du prophète Muhammad par l’ange Gabriel et transmis par oralité, avait été mis en écriture à l’initiative d’Abu Bakr et d’Omar, les successeurs immédiats du prophète, et scellé dans sa version définitive par Othman, le troisième calife, (744-756). Ce dernier, en plus, s’était employé à détruire les autres versions du texte encore en circulation.

Au cours des années 1970, des islamologues anglais (John F. Wansbrough, Patricia Crone, Michaël Cook) appliquèrent avec rigueur la méthode historico-critique déjà en vigueur depuis plus d’un siècle en Europe pour examiner la Bible, son contenu et ses genres littéraires. Ils fondent un courant hypercritique, qui repousse au IXème siècle la mise en écriture du Coran, un texte longtemps flottant, où la séparation entre le codex proprement dit (le Coran) et le hadith (la tradition écrite consignant ce que le prophète aurait dit) n’a pas encore été établie. Leur approche iconoclaste de la version reçue (y compris par les spécialistes en France les plus reconnus, tels Régis Blachère et Maxime Rodinson) renouvelle le genre des études coraniques de fond en comble. Elle débouche, après maintes retouches, sur une compréhension du texte fondateur qui repousse la fixation de la version dite d’Othman à un demi-siècle en aval, sous le califat d’Abd el-Malek à la fin du VIIème siècle ou au tout début du VIIIème. C’est d’ailleurs à la thèse de ce moment pivot que se rallient les auteurs de cette enquête monumentale : lorsque l’islam des origines, une religion prophétique, achève de basculer en idéologie impériale et que se cristallise le pouvoir des califes d’essence théocratique.

Devant cet ouvrage fleuve, le rapporteur, en l’occurrence un généraliste, se doit d’abord de situer l’entreprise. Elle est le fait de vingt et un chercheurs qui œuvrèrent sous la direction des deux concepteurs : Muhammad Ali Amir-Moezzi, directeur d’études à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes (EPHE), et Guillaume Dye, professeur d’islamologie à l’Université libre de Bruxelles. Sans doute, s’agit-il d’une réédition du tome 1 du Coran des historiens1 mais considérablement remaniée et enrichie par deux contributions sur l’apport des écrits apocryphes chrétiens (Rémi Gounelle) et une relecture de la langue du Coran (Pierre Larcher).

Certaines contributions déroutent le lecteur, tant elles ruissellent de technicité : quand elles ont recours aux données épigraphiques et aux savoirs tirés de l’archéologie et de la codicologie en plein essor. Si bien que ressortent avec encore plus de force les écrits consacrés au milieu historique dans lequel vécut le prophète. Les données tirées de la culture bédouine et tribale ne sont nullement passées sous silence. Mais l’accent est mis sur le bouillonnement spirituel et intellectuel dans lequel vit la péninsule arabique depuis le royaume de Himyar au Vème siècle. Plusieurs courants se croisent et interagissent les uns sur les autres, dont les manichéens, les zoroastriens et, bien sûr, les juifs, les chrétiens et les judéo-chrétiens. Chacun, dans cette enquête monumentale, est l’objet d’un examen attentif à ses connections avec les autres et à l’entrelacs qu’ils dessinent ensemble. L’atmosphère est propice à l’échange, au débat, à la polémique. Et une culture biblique, presque une koiné, constitue le tréfonds de ce microcosme concentré à la Mecque avec une dominante chrétienne, qui ne se revendique ni du concile de Nicée2, ni de celui de Chalcédoine, et demeure parallèle à la culture grecque diffusée par Byzance. Ce fond de l’air, chrétien-araméen ou en un mot syriaque, constitue le sous-sol duquel naît le Coran et voici une trouvaille scientifique indubitable acquise depuis peu, qui dérangera nombre d’esprits habitués. C’est qu’au fond tous ces débatteurs enflammés baignent déjà dans le monothéisme. On est croyant monothéiste (mu’min), mais pas encore musulman (muslim) tout au long de ce long VIIIème siècle où l’islam n’a pas encore acquis ses traits irrévocables de religion de conquérants, de dominants, où une pluralité de possibles s’inscrit dans l’horizon d’attente ambiant.

Ajoutons que, pour circonscrire ce chantier scientifique en construction, les deux codirecteurs mettent in fine largement la main à la pâte. Guillaume Dye examine au rayon laser le corpus coranique, son contexte, sa composition, sa canonisation et se livre au passage à de fins prélèvements de versets dans les sourates 2 et 55. Muhammad Ali Amir-Moezzi3 fait ressortir de main de maître le climat eschatologique et messianique qui entoure les débuts du courant chi’ite et l’accompagne jusqu’au milieu du Xème siècle. Il livre ainsi une synthèse autant dynamique que panoramique d’une version de l’islam, dont l’actualité retentit encore lourdement aujourd’hui.

En somme, cet ouvrage fait le point sur le débat en cours entre les spécialistes, mais c’est aussi une somme inégalée pour apprendre et approfondir l’islam en tant que religion et non pas seulement comme civilisation historique : un point d’appui indispensable pour parler de l’islam en connaissance de cause, un grand livre qui fera date.

Daniel Rivet4

1 Le Coran des historiens, publié en trois volumes, en 2019, aux éditions du Cerf. Cf. Recension du vol.1 par Christian Lochon

2 Cf. Concile de Nicée (325) et Concile de Chalcédoine (451) (note de la rédaction).

3 M.A. Amir-Moezzi était l’invité de Ghaleb Bencheikh, sur son livre Histoire du Coran, dans l’émission Questions d’islam sur France Culture, dimanche 15 janvier 2023 durée : 53 mn (note de la rédaction).

4 Daniel Rivet, professeur émérite des Universités, est spécialiste de l’histoire du Maghreb colonial et contemporain, et du Moyen-Orient contemporain. Il est l’auteur notamment de : Le Maghreb à l’épreuve de la colonisation, 1830-1962 (Hachette, 2002),  Histoire du Maroc (Fayard, 2012), Le général Édouard Méric (1901-1973) : un acteur incompris de la décolonisation.- Bouchène, 2015, Henry de Castries (1850-1927) : du faubourg Saint-Germain au Maroc, un aristocrate islamophile en République.- Karthala, juin 2021.Voir aussi ses autres contributions et recensions de livres sur le site de CDM (note de la rédaction).

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