Titre

Être soi par l’autre

Sous titre

Comment j’ai grandi dans un contexte de diversité

Auteur

Michel Younès

Type

livre

Editeur

Paris : Karthala, 2023

Collection

Chrétiens en liberté

Nombre de pages

172 p.

Prix

17 €

Date de publication

16 août 2023

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Être soi par l’autre : comment j’ai grandi dans un contexte de diversité.

Dans cet ouvrage Michel Younès1 présente le récit de son itinéraire intellectuel à la croisée de plusieurs univers culturels et religieux : il montre comment devenir vraiment soi-même grâce à la rencontre et au dialogue avec autrui. L’ouverture à l’altérité est presque toujours un risque. Alors que la mondialisation a renforcé les crispations identitaires, comment les personnes et les groupes peuvent-ils prévenir la menace des confrontations agressives ?

Les analyses philosophiques de Paul Ricœur dans Soi-même comme un autre2 fournissent à M. Younès la clé d’interprétation favorisant la relecture de son propre parcours : en s’appuyant d’abord sur ses racines libanaises, puis sur sa formation en philosophie et en théologie à l’Université Catholique de Lyon, l’auteur raconte comment, depuis plus de vingt-cinq ans, son enseignement et ses recherches sur les traditions religieuses, en particulier sur l’islam dans ses rapports avec le christianisme, l’ont amené à repenser la question de l’identité et des appartenances multiples.

Il offre à ses lecteurs aussi bien l’originalité singulière que la dimension universelle de sa trajectoire personnelle, au carrefour de l’orient et de l’occident, du religieux et du politique, de l’enracinement historique et de l’ouverture spirituelle.

Une dense introduction précise les questions existentielles qui habitent l’histoire personnelle de l’auteur. Marqué dès son enfance par la complexité de son Liban natal, où s’affrontent, depuis des décennies, diverses communautés religieuses et politiques, le jeune M. Younès, en arrivant dans un autre univers culturel lors de ses études à Lyon, prend du recul pour penser à quelles conditions l’extrême diversité, qui engendre si souvent la guerre et l’incertitude de l’avenir, peut devenir une “force” pour retrouver du sens au cœur du chaos.

Reconnaître que l’identité d’un sujet ou d’un groupe ne constitue ni un absolu intangible qui serait toujours “le même”, ni une pure illusion qui s’évanouirait dans une évanescente relativité, c’est proposer une troisième voie où le “je” personnel s’épanouit grâce à une sorte de “porosité”3 à l’altérité qui conduit à résister aux tentations de domination, d’annexion ou de supériorité : ainsi chaque personne, chaque groupe humain peut convertir sa tendance à l’impérialisme en un chemin dialogal de “dynamique interactive” grâce au récit que fait un sujet parlant et agissant avec autrui : apprendre à partager une “identité narrative”4, c’est non seulement prendre conscience d’une altérité “externe” à soi mais aussi des formes d’altérité intérieure qui permettent au sujet autant qu’aux groupes de faire retour à ce qui constitue l’”être-soi” grâce à l’autre. Se révèle alors, à travers un “espace d’interpellation mutuelle”5, le caractère essentiellement relationnel de toute identité humaine, quelles que soient les cultures, et les religions.

Les trois parties de l’ouvrage incarnent les étapes de cet apprentissage de soi par l’autre à partir des moments de la traversée intellectuelle de l’auteur :

La formation développe, par le travail rationnel et le recul critique, les enjeux du questionnement personnel : il prend d’abord la forme d’une étude anthropologique sur René Habachi6, philosophe syro-libanais inspiré par le personnalisme d’Emmanuel Mounier ; puis, à partir de cette réflexion, vient le temps de s’interroger en théologie sur les deux conceptions de la Révélation que portent les traditions religieuses présentes au Liban, grâce à une distanciation offerte par l’histoire du Moyen Âge : la perception chrétienne chez Jean Damascène7 d’une part, et, d’autre part, les écrits d’al-Ash‘ari8 grande figure de l’orthodoxie sunnite traditionnelle. S’ajoute ensuite une recherche sur la pensée du talmudiste juif Maïmonide (1135-1204) qui complète le parcours de réflexion sur les trois monothéismes.

De ces premiers travaux surgit la possibilité d’une connaissance analogique qui va au-delà de l’analyse des ressemblances et des différences pour mettre en évidence des modes d’interprétation susceptibles de favoriser un rapprochement entre des traditions tout en maintenant leur distance irréductible : c’est l’étude de la structure du Kalam9, qui va permettre à M. Younès de penser la médiation d’une Parole divine fondatrice et insaisissable, mais capable de dessiner une voie de rencontre entre les trois traditions monothéistes. La thèse de Doctorat en philosophie et théologie achève cette première période, et ouvre “un espace de fécondité intellectuelle marqué par une interdisciplinarité, capable d’offrir une alternative aux tensions conflictuelles et aux guerres fratricides”10.

L’enseignement de M. Younès à la Faculté de Théologie de la Catho de Lyon continue de tisser une ample tapisserie aux couleurs de la dogmatique chrétienne questionnée à la fois par les catégories de l’islamologie, par la théologie des religions et le dialogue interreligieux.

Le récit des interactions entre les divers champs d’enseignement laisse percevoir les interconnexions entre les disciplines à l’intérieur même de la théologie : M. Younès insiste sur le primat de la rencontre entre les personnes, tenant compte de la sensibilité de chacun selon les contextes. Le dialogue fécond et durable implique l’exigence d’être “soi-même” devant et avec l’autre ; plus encore, dans ces rencontres entre traditions religieuses, il s’agit pour chacun de se laisser recevoir dans une hospitalité mutuelle en direction d’une transcendance, d’un « plus grand que soi » qui nous fait exister.

La recherche décrite dans la troisième partie s’enrichit par le travail collectif et l’interaction entre les recherches des universitaires et les acteurs culturels et sociaux ; le dialogue s’amplifie par la création de séminaires sur le rapport entre religions et entreprises, par des laboratoires de recherche et la création d’un Diplôme Universitaire sur le thème “Religion, liberté religieuse et laïcité”. Ces innovations académiques inaugurées par M. Younès et ses collègues favorisent de nouvelles relations entre l’expertise des chercheurs et les formations professionnalisantes des acteurs religieux11, au service du Bien commun.

Mais le “fleuron” de la recherche collective de l’auteur est l’ouverture à l’international par la création du réseau PLURIEL12 qui, en regroupant 180 chercheurs issus de 27 pays, mutualise les forces vives des Institutions membres autour des recherches sur l’islam, avec de multiples échanges par vidéos et des congrès internationaux : s’élabore ainsi un vivre-ensemble à travers les diverses rencontres qui sont autant d’occasion de répondre aux enjeux actuels de la pluralité religieuse dans le respect de chacun et l’édification d’une fraternité universelle.

On ne peut qu’être admiratif devant le récit de ces réalisations et de ces projets au service de la vérité, d’autant plus que l’auteur n’élude pas les difficultés qui ont parsemé son parcours.

Nul doute qu’à partir de cette trajectoire, Michel Younès, qui vient d’être nommé Doyen de la Faculté de Théologie de l’Université Catholique de Lyon, saura continuer à orchestrer cette éducation à l’altérité au cœur de sa nouvelle mission.

Marie-Etiennette Bély13

1 Michel Younès, Professeur de Théologie à l’Université Catholique de Lyon (UCLy), est un auteur bien connu du site Chrétiens de la Méditerranée où les ouvrages dont il est l’auteur ou l’éditeur scientifique sont habituellement recensés, notamment : Les approches chrétiennes de l’islam : tensions, déplacements, enjeux /Michel Younès ; préface de Dominique Avon.- Paris : Cerf, 19/11/2020.-(Patrimoines)

L’islam au pluriel : foi, pensée et société : [actes du 1er Congrès international de PLURIEL]/ Ali Mostfa et Michel Younès (sous la direction de).- Paris : L’Harmattan, 2018.-(Pensée religieuse & philosophique arabe ; 36)

Dialogue interreligieux, quel avenir ?/Pierre Diarra et Michel Younès, dir. Mgr Michel Dubost, préf..- Marseille : Publications Chemins de dialogue, 2017

Le fondamentalisme islamique : décryptage d’une logique /Michel Younès, dir. préface de Ghaleb Bencheikh.- Paris : Karthala, 2016.-(Disputatio)

La vocation des chrétiens d’Orient : défis actuels et enjeux d’avenir dans leur rapport à l’islam : actes du colloque international à l’Université catholique de Lyon, 26-29 mars 2014 / Marie-Hélène Robert et Michel Younès, éd. ; préface du cardinal Philippe Barbarin.- Paris : Karthala, 2015.-(Chrétiens en liberté)

Il a fait pour notre site la recension de :

Pour un nouveau pacte au Liban : lectures critiques et prospectives / sous la direction de Mouchir Basile Aoun, Charles Chartouni et Antoine Fleyfel.- Paris : L’Harmattan, 2021.- (Pensée religieuse et philosophique arabe ; 43)

2 Paul Ricœur.-Soi-même comme un autre.-Seuil, 1990, rééd. 2015, coll. Essais. Michel Younès a présenté en 2020 une Habilitation à diriger des recherches (HDR) à l’École Pratique des Hautes Études comprenant une partie intitulée Soi-même par un autre : ce présent ouvrage en est la synthèse.

3 Cette image apparaît p. 14

4 Penser l’identité d’un sujet suppose de tenir ensemble une certaine permanence de l’individu et les changements opérés par le temps et les événements vécus par ce sujet. P. Ricœur introduit “l’identité narrative” comme une construction consciente qui s’élabore à partir d’un récit de soi permettant de configurer l’expérience temporelle en un tout cohérent : est ainsi désignée une identité dynamique qui ne cesse de s’offrir au dialogue avec autrui, invité lui aussi à se raconter comme un “soi réflexif”. Il s’agit là d’une ouverture à la convivialité par le récit partagé. C’est ce que fait M. Younès en nous livrant le récit de son parcours.

5 p. 30

6 L’œuvre de René Habachi (1915-2003) est centrée sur l’être-relationnel fondé sur le don d’amour et la parole responsable adressée à l’autre comme réponse à la violence et ouverture à la transcendance.

7 Jean Damascène (675-749) est l’un des derniers “Pères de l’Église” vivant à l’époque charnière de l’installation des empires musulmans.

8 Les œuvres d’al-Ash‘ari (874-935) inaugurent une école musulmane au sein du sunnisme qui durera jusqu’au XIXème siècle.

9 Le terme arabe Kalam signifie d’abord parole, puis devient une science sur laquelle se fonde une tradition théologique en islam sunnite. Les commentateurs de la Torah développeront une tradition parallèle dans le judaïsme médiéval.

10 La thèse, soutenue en mars 2005, a pour titre Révélation(s) et parole(s), la science du “kalam” à la jonction du judaïsme, du christianisme et de l’islam.

11 Ces recherches-actions porteront leurs fruits : L’État français, par le décret du 5 mai 2017, rend obligatoire- pour les futurs engagés comme aumôniers pénitentiaires, hospitaliers et militaires-, la possession d’un diplôme “sanctionnant une formation civique et civile agréée”. C’est le signe d’une “reconnaissance des sciences religieuses dans leur capacité à éclairer les phénomènes de société” p. 129.

12 Plate-forme de recherche universitaire sur l’islam en Europe et au Liban, initiée en 2013.

13 Enseignante en philosophie à l’UCLy, Doyen de la Faculté de Philosophie entre 1993 et 1999.

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