Alors que l’attention des médias se concentre sur l’Ukraine et sa soumission probable aux conditions de la Russie, avec l’aval du président des États-Unis, le “nettoyage” de la Palestine par Israël, pour reprendre le terme de Donald Trump, se poursuit dans un silence relatif. Nous reprenons quelques informations et prises de position, alors que la trêve négociée pour la libération des otages israéliens devient de plus en plus un cessez-le-feu unilatéral qu’Israël ne respecte pas. En témoigne le massacre de plus de 400 habitants de Gaza dans une frappe effectuée dans la nuit du 17 au 18 mars 2025 (1).
De Jérusalem, le P. David Neuhaus, Israélien et jésuite, livre son analyse sur la guerre à Gaza
Cet entretien avec Luc Balbont, journaliste et administrateur de CDM, a été publié sur le blog qu’il tient pour l’Œuvre d’Orient.
Le P. Neuhaus lors d’une conférence à Jérusalem (photo Neuhaus)
Sa famille juive ayant fui l’Allemagne nazie en 1936, pour se réfugier en Afrique du Sud, c’est à Johannesburg, le 25 avril 1962, qu’est né David Neuhaus. Dans ce pays, où la communauté noire était alors rejetée, il éprouve ses premières répulsions pour les politiques d’apartheid.
Jérusalem sous surveillance de l’armée israélienne (Luc Balbont)
Au sortir de l’adolescence, ses parents l’envoie en Israël pour poursuivre ses études. A la suite d’une rencontre avec une religieuse orthodoxe russe, il découvre plus profondément le christianisme. “J’ai été baptisé 12 ans après, précise-t-il, par respect pour mes parents. Je leur avais promis que j’attendrai 10 ans.”
Docteur en sciences politiques, il entre en 1992, dans la Compagnie de Jésus. Il est ordonné prêtre en septembre 2000, après des études au Centre Sèvres à Paris, et à l’Institut biblique pontifical à Rome.
Pour David Neuhaus la solution à ce conflit repose, non sur la création d’un État palestinien à côté d’un État israélien, mais il insiste plutôt sur une égalité totale où les deux communautés bénéficieraient des mêmes droits dans un pays unique, sans discrimination.
Manifestations à Jaffa de jeunes israéliens hostiles à servir
dans les territoires occupés par Tsahal (Luc Balbont)
Père Neuhaus, vous êtes Israélien et Jésuite. Quelle serait selon vous la solution pour que les communautés juives et palestiniennes nouent un véritable “Vivre ensemble” ?
Je ne crois plus à la solution à deux états. Depuis 1948, avec ses conquêtes successives, Israël a fini par coloniser la Terre sainte pour en faire un État juif, notamment avec la politique de l’actuel Premier ministre au gouvernement composé de colons extrémistes, un pays où les Palestiniens sont considérés comme des intrus.
Si un État palestinien était créé dans les conditions présentes, où le Hamas et l’Autorité palestinienne ne cessent de s’affronter pour le pouvoir, serait-il vraiment démocratique ? Je n’en suis pas sûr ! Pour moi, la solution repose d’abord sur une égalité parfaite dans un pays unique, où les deux communautés bénéficieraient des mêmes droits et des mêmes devoirs. Les Palestiniens ne doivent plus être regardés comme un “sous-peuple”, qu’on peut exclure, déplacer et piller à loisir. Il faut changer de logiciel.
Quel rôle pourrait jouer la communauté chrétienne en Israël dans la solution que vous proposez ?
L’Église a une véritable mission, une mission sacrée. En affirmant constamment que la guerre n’est pas notre destin, et que l’homme n’est pas destiné à la violence. Tous les hommes et toutes les femmes sont créés à l’image de Dieu, juif comme arabe, Israélien comme Palestinien.
L’Eglise a une vision irremplaçable, qui reconnait le droit de construire un idéal partagé, vécu par les deux peuples.
Que penser du plan Trump, qui consisterait à expulser les Palestiniens, vers notamment la Jordanie et l’Égypte, voire l’Arabie saoudite ?
Ce n’est pas un plan. C’est une intuition d’intérêt politique, une solution de mépris, qui ne prend absolument pas en compte l’humanité du peuple palestinien, une proposition colonialiste. En Cisjordanie, les colons israéliens ont déjà déplacé près de 40 mille Palestiniens, considérés comme des indigènes sans importance, transférables à loisir.
Peut-on espérer la fin de ce terrible conflit qui date depuis 1948, et mettre fin à ce bilan désastreux ?
Cette guerre ne se terminera que lorsque la société israélienne sera consciente qu’il est immoral et impossible de garantir sa sécurité par la violence, et l’assujettissement du peuple palestinien.
Israël bombarde et prive de liberté des femmes et des hommes qui ont les mêmes droits que nous. Cette Terre dite Sainte, est habitée par un autre peuple qui doit être absolument intégré.
Propos recueillis par Luc Balbont
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Une colonisation israélienne à marche forcée en Cisjordanie et à Gaza
Le dossier du journal “La Croix”
Le quotidien La Croix du 18 mars 2025 consacre trois pages à l’effort de colonisation encore jamais vu que mène l’État d’Israël en Cisjordanie, en espérant le poursuivre à Gaza après l’élimination de sa population palestinienne. Israël compte sur le soutien indéfectible des États-Unis de Donald Trump, qui a lui-même repris à son compte le déplacement de la population de Gaza vers d’autres territoires, avec son projet de construire à la place une “nouvelle Riviera”.
Voir l’article de Julie Connan, “Les colons israéliens à la conquête de la Cisjordanie” et le portrait de Daniella Weiss, responsable du mouvement d’extrême-droite Nachala, qui entend “rejudaïser” Gaza. https://kiosque.la-croix.com/ccidist-ws/bayard/la_croix/issues/2901/OPS/G681MQ7Q.1%2BG681MQ7Q.1_pdf.pdf?rev=2025-03-17T18:11:12+01:00/2025-03-17
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Kairos Palestine – Appel à signature et affirmations
“Les chrétiens s’opposent aux déplacements forcés et aux fausses doctrines”
Mays Nassar, pour Kairos Palestine, nous écrit :
“Je souhaite partager avec vous cette importante déclaration publiée par des dirigeants et militants chrétiens contre les déplacements forcés de Palestiniens.
Cette déclaration appelle les Églises et les communautés chrétiennes du monde entier à rejeter toute forme de déplacement forcé et à défendre des politiques respectueuses des droits humains et du droit international. Votre signature amplifiera ce message et renforcera le témoignage chrétien mondial pour la justice et la paix en Palestine.
Veuillez prendre un moment pour lire, signer et partager la déclaration ici :
https://www.fosna.org/the-fosna-blog/christian-leaders-and-activists-stand-against-forced-displacement
Merci pour votre soutien et votre engagement en faveur de la justice.”
Cette initiative est une protestation contre la déclaration d’une association américaine de “Dirigeants chrétiens pour Israël”, American Christian Leaders for Israel (ACLI). Les Amis de Sabeel en Amérique du Nord (Friends of Sabeel in North America, FOSNA) ont rassemblé “une coalition diversifiée de voix chrétiennes engagées pour une paix juste en Terre Sainte et au-delà” et proposé de signer la déclaration ci-dessus de FOSNA.
L’association des Amis de Sabeel France, notre partenaire, en a fait une traduction française.
“Les chrétiens s’opposent aux déplacements forcés et aux fausses doctrines
7 mars 2025 — Appel à signatures et affirmations.
Plus de 3 000 dirigeants “chrétiens sionistes” affiliés à l’American Christian Leaders for Israel (ACLI), un projet de l’Ambassade chrétienne internationale de Jérusalem (ICEJ), organisation extrémiste, ont récemment publié une déclaration profondément immorale appelant le président Trump à déclarer la souveraineté israélienne sur l’ensemble de la Terre Sainte.
Donald Trump devrait faire une déclaration sur le sujet de l’annexion dans les prochaines semaines, voire les prochains jours.
La déclaration de l’ACLI est totalement incompatible avec le Dieu dont témoignent les Écritures et avec nos obligations morales et éthiques en tant que disciples de Jésus et des prophètes bibliques. Nous devons renoncer publiquement à de telles initiatives et préciser clairement que les personnes affiliées à l’ACLI ne parlent pas au nom des chrétiens ni du christianisme. De plus, nous devons rejeter catégoriquement tout projet à peine voilé d’annexion de terres palestiniennes et de poursuite des violences contre des civils innocents en Cisjordanie occupée, à Gaza et au-delà. C’est pourquoi une coalition diversifiée de voix chrétiennes engagées pour une paix juste en Terre Sainte et au-delà s’est réunie pour proclamer ce qui suit :
Des dirigeants, militants et personnes de conscience chrétiens s’opposent aux déplacements forcés et réaffirment le droit inaliénable des Palestiniens à une vie libre et digne dans leur patrie ancestrale.
Nous, soussignés, nous sommes engagés à défendre la Bible contre les fausses interprétations, en particulier celles qui appellent à la persécution, à l’exploitation et à l’élimination de groupes humains entiers. Nous en avons été témoins au fil des siècles, et nous devons non seulement nous en repentir, mais aussi veiller activement à ce que cela ne se reproduise plus.
C’est le cas d’une interprétation biblique erronée et déformée qui appelle et encourage activement le déplacement forcé des Palestiniens. Le “sionisme chrétien”, comme on l’appelle communément, est une théologie hérétique qui encourage le déracinement violent de familles et de communautés entières des terres et des propriétés sur lesquelles elles ont vécu, travaillé et cultivé pendant des générations.
Les appels à étendre les frontières de l’Israël moderne et à expulser de force la population autochtone constituent une profonde méconnaissance du témoignage biblique, un rejet du message de l’Évangile et l’effacement de milliers d’années d’histoire et de culture palestiniennes.
Pour nous, une telle politique est profondément antichrétienne, aux antipodes de ce que signifie suivre Jésus, un Juif palestinien autochtone né à Bethléem et élevé à Nazareth. Nous croyons en effet que Jésus et les prophètes hébreux se seraient farouchement opposés à de tels actes destructeurs.
Nous sommes solidaires des communautés chrétiennes palestiniennes de Terre Sainte et honorons leur témoignage lorsqu’elles nous avertissent que la plus ancienne communauté chrétienne du monde, toujours vivante, est en danger d’extinction. Nos frères en Christ sont directement menacés par les autorités israéliennes et les colons radicaux qui cherchent à les expulser et à les éliminer.
En tant que chrétiens, nous sommes solidaires de toutes les communautés palestiniennes qui luttent contre le nettoyage ethnique, l’effacement culturel et le génocide : musulmanes (sunnites, chiites, druzes, etc.), chrétiennes (arabes, arméniennes, syriaques/araméens, etc.), juives (juifs palestiniens autochtones, ainsi que les Africains, les Samaritains, les messianiques et bien d’autres qui s’opposent au nettoyage ethnique et au génocide), ainsi que les minorités non religieuses et autres minorités religieuses qui composent la remarquable diversité historique de la Palestine. Une mosaïque de confessions et de communautés ethniques différentes vit en Terre sainte depuis des siècles, et tenter d’en effacer l’une ou de revendiquer l’exclusivité au détriment de toutes les autres constitue un crime contre Dieu et contre l’humanité tout entière.
Nous condamnons la revendication de désigner la Cisjordanie occupée comme Judée-Samarie. Un tel acte constitue un effacement philosophique qui servira ensuite de justification au déplacement forcé de personnes innocentes de leurs terres ancestrales. Qu’il soit déclaré que :
Les signataires réaffirment le droit inaliénable du peuple palestinien – consacré par la théologie, l’histoire et le droit international – à une vie libre et digne dans sa patrie. Nous rejetons toute tentative – des États-Unis, d’Israël et d’autres – visant à déposséder le peuple palestinien. La paix ne sera instaurée que lorsque tous les peuples de la Terre Sainte – Palestiniens et Israéliens, chrétiens, juifs, musulmans, de toutes confessions et sans confession – vivront ensemble sur une terre commune. Nous rejetons le nettoyage ethnique. Nous rejetons la suprématie d’un peuple sur un autre. Et, en tant que chrétiens, nous rejetons catégoriquement l’utilisation abusive de la Bible pour justifier des actes qui trahissent le cœur de notre foi et le ministère de Jésus.”
Signataires et affirmations
Les signataires comprennent des chrétiens autoproclamés et des organisations ou réseaux chrétiens qui sont globalement en accord avec les exigences et les affirmations théologiques de la déclaration. Les affirmations sont sollicitées de la part de tous ceux qui sont globalement d’accord avec l’objectif et les exigences de la déclaration, mais qui ne peuvent adhérer à ses affirmations théologiques ou à son identité chrétienne.”
Voir ici la totalité du courrier de Kairos Palestine, avec la lettre de l’ACLI à Donald Trump, les textes originaux en anglais, la liste des premiers signataires.
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(1) Voir les articles en ligne du 18 mars 2025, de RFI (Radio France International), et de RMC (Radio Monte Carlo).