Alors que le bilan dramatique du naufrage d’un bateau de migrants au large de l’île sicilienne de Lampedusa ne cesse de s’alourdir, le pape François a appelé hier matin à la prière et a dénoncé avec force ce drame.
Ils venaient de Somalie, peut-être de l’Erythrée, et ont embarqué il y a deux jours en Libye pour rejoindre l’Europe. Le bilan provisoire du naufrage de leur embarcation fait pour le moment état d’au moins 92 morts et un peu plus de 150 rescapés, sur environ 500 personnes.
La maire de Lampedusa, Giusi Nicolini, a aussitôt dénoncé cette tragédie : « Il faut que les caméras de télévision viennent ici, montrent les cadavres, sinon c’est comme si ces tragédies n’existaient pas. » De nombreux politiques italiens ont également réagi pour dénoncer ces drames malheureusement trop fréquents.
A Rome, le pape François a interrompu un discours – lors d’une audience ce jeudi 3 octobre avec les participants d’une réunion célébrant le cinquantenaire de l’encyclique Pacem in Terris du pape Jean XXIII (consacrée aux enjeux d’une paix véritable dans le monde) – pour lancer : « Je ne peux pas ne pas évoquer avec horreur les nombreuses victimes de cet énième naufrage qui a eu lieu aujourd’hui au large de Lampedusa. Le terme qui me vient à l’esprit est la honte… C’est une honte ! » Ces mots ont été largement applaudis.
« Prions Dieu pour ceux qui ont perdu la vie : des hommes, des femmes, des enfants… Prions Dieu pour leurs familles, et pour tous les réfugiés », a ajouté le pape avant de préciser encore : « Unissons nos forces pour que de telles tragédies ne se reproduisent plus. Seule une collaboration déterminée de tous peut permettre de les éviter. »
Fait encore inédit au Vatican, selon le journaliste Olivier Bonnel, la publication hier matin d’un tweet sur le compte Twitter du pape a été annulée pour poster en urgence à la place un message d’appel à la prière (en italien) : « Prions Dieu pour les victimes du tragique naufrage au large de Lampedusa.»
L’île de Lampedusa, située à une centaine de kilomètres des côtes d’Afrique du Nord, accueille chaque année un flux ininterrompu de réfugiés en provenance de Somalie, Ethiopie, Irak, Syrie, Afghanistan, Mali… Elle est le point d’entrée principal des migrants dans l’Union européenne, avec la frontière entre la Grèce et la Turquie. Selon des estimations, depuis 1999, plus de 200.000 migrants ont transité par Lampedusa, et de nombreuses personnes trouvent la mort régulièrement en cherchant à la rejoindre. L’an dernier, 500 personnes ont ainsi péri en mer.
Le pape François avait fait de ce lieu hautement symbolique son tout premier déplacement hors de Rome, le 8 juillet dernier. A l’occasion de cette visite, il avait dénoncé dans une homélie puissante « l’indifférence » des sociétés occidentales pour le sort de ceux qui viennent chercher en Europe une vie meilleure.
« Aujourd’hui personne dans le monde ne se sent responsable de cela ; nous avons perdu le sens de la responsabilité fraternelle », avait-il alors lancé. François avait aussi dénoncé avec force la « culture du bien-être (…) qui rend insensibles aux cris des autres et qui nous fait vivre dans des bulles de savon, qui sont belles, mais ne sont rien ; elles sont l’illusion du futile, du provisoire, illusion qui porte à l’indifférence envers les autres, et même à la mondialisation de l’indifférence. Dans ce monde de la mondialisation, nous sommes tombés dans la mondialisation de l’indifférence. Nous sommes habitués à la souffrance de l’autre, cela ne nous regarde pas, ne nous intéresse pas, ce n’est pas notre affaire ! »
Le nouveau drame survenu aujourd’hui semble être dû à un incendie à bord de l’embarcation, des passagers ayant mis le feu à des couvertures pour être repérés par un navire marchand. Le bateau a ensuite coulé. Ce sont des bateaux de tourisme, alertés par les cris des personnes à la mer, qui ont d’abord porté secours aux naufragés, avant qu’un bateau de pêche ne donne l’alerte. Les premiers témoignages de survivants font état d’autres bateaux de pêche qui les auraient vus « mais ne leur ont pas porté secours »
Aymeric Christensen
La Vie