Retour sur le voyage d’étude au Maroc organisé par CDM en octobre 2018 (1/4) – « Enjeux économiques et sociaux »
INTRODUCTION – Que vaut un voyage si ce n’est par les rencontres qu’il procure, les découvertes qu’il promet ? En ce sens, le périple qui a conduit quatorze membres du réseau Chrétiens de la Méditerranée sur les routes du Maroc, du 10 au 20 octobre 2018, a tenu toutes ses promesses. Voyage d’études mais aussi parcours riche en émotions, en réflexions, en éblouissements, face à des paysages sublimes de beauté. Mais peut-être, surtout, voyage intérieur pour chacun de nous lors de face à face avec des personnes ayant choisi de consacrer leur vie à l’autre, quel qu’il soit, chrétien, musulman, laïc, riche ou pauvre, handicapé ou artiste ; des personnes humbles et vivantes, habitées par le feu de la Vie.
Parmi les membres de notre petit groupe, quelques-uns ont écrit leurs impressions. François a retranscrit l’essentiel de notre itinéraire. Rosine, Odile, Annette ont ajouté des textes qui reflètent leurs choix personnels.
ENJEUX ÉCONOMIQUES ET SOCIAUX
Terre de contrastes et de paradoxes, le Maroc oscille entre luxe et richesse, misère et pauvreté.
Le Maroc est un pays de contrastes, paysagers d’abord : le désert borde des massifs montagneux non loin des côtes atlantique et méditerranéenne qui font de ce pays une porte sur le continent africain, mais aussi une route vers l’Europe et le monde.
En arrivant au Maroc, on est frappé par le dynamisme des grandes métropoles, par leurs larges avenues aux arbres étincelants, par la beauté de leurs jardins, par la présence importante d’agences bancaires et par l’activité commerciale. Mais s’éloigner des centres urbains, aller vers leur périphérie ou quitter les villes touristiques pour les villages, c’est aussi découvrir un autre Maroc, plus proche de l’image que l’on se fait des pays du Maghreb, avec ses petits ânes tirant de lourdes charrettes et une population aux marges de la mondialisation.

Sur la route entre Meknès et Fès
Un dynamisme économique et commercial
Premier pays exportateur de phosphates, disposant d’un artisanat de qualité, d’un tourisme très développé (10 millions de visiteurs en 2014), le Maroc offre l’image d’un pays installé dans la modernité. Avec un produit intérieur brut par habitant de 3151 $ en 2017, une inflation maîtrisée et un taux de croissance annuel moyen de 4,3% entre 2008 et 2013 (3% prévu en 2018), le Maroc, « cet occident le plus lointain », apparaît comme un pays attractif pour les investissements étrangers et comme le pays « africain » le plus mondialisé[1].

Dans le souk de Meknès
Ce dynamisme économique et commercial n’est pas nouveau puisqu’entre le VIIIe et le XIVe siècle (époque où les caravelles ont supplanté les caravanes) le Maroc reliait l’Afrique noire et l’Afrique blanche. La ville de Sijilmassa (actuellement Rissani dans le Tafilalet) était le point de départ des routes vers le Ghana et l’Afrique subsaharienne. Le Maroc est un pays africain. C’est un élément de compréhension important, comme l’a rappelé le professeur Mohamed-Sghrir Janjar, sociologue et anthropologue, directeur adjoint de la fondation King Abdul Aziz et membre du comité scientifique d’Al Mowafaqa (centre œcuménique de théologie).
Comme l’a indiqué M. Janjar, cette « culture de frontière » et les liens coloniaux avec l’Espagne et la France ont marqué profondément le Maroc, pays musulman mais ouvert sur les religions et les cultures et revendiquant sa « marocanité », sa « berbérité », ce qui l’éloigne des pays dits « arabes ».
2,4 enfants par femme
Pour M. Janjar, le Maroc est en pleine mutation. Un des changements les plus importants tient à la démographie : le taux de fécondité de 2,4 enfants par femme se rapproche de celui des pays européens et les difficultés économiques font que le Maroc, après le Liban, a le taux le plus élevé de femmes travaillant hors foyer du monde arabe (34%).
La scolarisation, notamment celle des filles, et la lutte contre l’analphabétisme (qui touche encore 54% des femmes en milieu rural), est un deuxième enjeu important. Un débat a eu lieu à ce sujet, suite à la période de « scolarisation massive » qui n’a pas permis l’établissement d’un enseignement de qualité. Il y aurait toujours, au Maroc, plus d’analphabètes qu’en Tunisie et en Algérie.
Enfin, l’instauration du code de la famille (Moudawana) permet aux femmes de ne plus recourir à un tuteur pour se marier et le divorce a été introduit à leur demande.
La pauvreté serait en baisse, sauf en milieu rural. Selon la Banque Mondiale, le Maroc compterait 4 millions de pauvres mais le taux de pauvreté, qui est passé de 15,3% de la population en 2009 à 4,8 en 2014, atteindrait 9,5 en milieu rural. Au niveau mondial, l’indice de développement humain situe le Maroc à la 126e place sur 188 pays en 2015 (Algérie 84, Tunisie 97, Égypte 111), ce qui place le Maroc dans les « pays moyens ». Cette pauvreté se manifeste dans plusieurs secteurs, notamment celui de l’éducation puisque, à titre d’exemple, 13% des jeunes de 5 à 14 ans ne fréquenteraient pas l’école. Le chômage (environ 10%) est également une cause importante de la pauvreté : il frappe 26,5% des jeunes,17,9% des « instruits » et 14,7% des femmes.
De l’émigration à l’immigration
Parmi les défis auxquels le Maroc doit faire face, celui de l’immigration occupe une place sensible car si le Maroc est, notamment depuis l’indépendance, devenu une terre d’émigration[2], il est désormais un pays d’immigration et de transit principalement vers l’Espagne.
Vingt mille étudiants africains, dont 70% de subsahariens, étudient au Maroc et bénéficient pour la moitié d’entre eux, de bourses du gouvernement marocain. Mais, pour beaucoup d’autres jeunes, le Maroc est une terre de transit vers l’Espagne, porte d’entrée en Europe[3]. L’Union européenne, qui veut maîtriser ces flux migratoires, a proposé la création de centres d’accueil sur le continent africain (proposition refusée par le Maroc) et une aide financière de 140 millions d’euros (qui est en cours de négociation). Face aux « pressions européennes », le Maroc applique, d’une part, une politique de refoulement[4] mais a adopté, d’autre part, sur demande du roi (discours royal du 9 septembre 2013) une politique de régularisation inédite en pays maghrébin : (50000 personnes sont concernées) et les enfants de migrants peuvent intégrer les écoles marocaines sans connaître le Coran.
Face à des situations de détresse et de grande pauvreté, Caritas Maroc a créé, en 2005, trois centres d’accueil pour migrants à Rabat, Casablanca et Tanger. À Rabat, Myriam nous présente le programme Qantara qui vise à créer des liens entre les migrants et la société marocaine en appliquant trois idées :
– accompagner dans leur vie quotidienne les personnes migrantes en vue de leur permettre d’accéder à une intégration dans la société marocaine,
– mettre en œuvre un travail de médiation sociale dans les domaines de la scolarité des enfants, de la formation professionnelle, de la santé et des services publics,
– intégrer Caritas dans les programmes gouvernementaux (Stratégie Nationale d’Immigration et d’Asile)[5].
Caritas, qui agit plus particulièrement en faveur des mineurs étrangers non accompagnés (MNA), est également partenaire du Groupe Antiraciste d’Accompagnement et de Défense des Migrants GADEM).
Depuis le début des années 2000, de jeunes étudiants et des migrants, originaires de tous les pays d’Afrique subsaharienne, surtout francophones, sont venus rejoindre une communauté chrétienne, jadis plutôt européenne. Les deux diocèses marocains (Rabat et Tanger) ont créé l’AECAM (Aumônerie des étudiants catholiques du Maroc).

Avec le nouveau curé de Meknès
Le dimanche 14 octobre, à l’église Notre-Dame des Oliviers de Meknès, nous avons vécu un moment intense du voyage en partageant la messe avec des étudiants africains et quelques paroissiens, en union de prières, de communion et de dialogue. Dans son homélie vibrante et toute africaine, l’officiant nous a exhortés à mettre en œuvre un esprit de discernement. De très beaux chants ont rappelé leur jeunesse à certains en invoquant la protection de la statue de Notre-Dame des Captifs (3000 chrétiens étaient prisonniers au Maroc au 18e siècle).
François Stey
NOTES
[1]Tanger Med 2 sera le plus grand port africain. Les banques marocaines étendent leur domination sur l’Afrique francophone avec 918 agences, 10000 employés et 18,3 millions d’euros d’actifs contre 6 pour les banques françaises.
[2] 4,5 millions de marocains vivent hors du Maroc (dont 1,1 en France où sont accueillis 36 000 étudiants).
[3] On dénombre, depuis janvier 2018, 36000 arrivées sur les côtes espagnoles (22000 en 2017) dont 15% de jeunes marocains.
[4] 6500 personnes ont été refoulées vers le sud du Maroc, dans la région de Tiznit et Beni Mellal.
[5] À noter que, depuis le 1er novembre 2018, les ressortissants du Mali, de la Guinée, et de la RD du Congo doivent posséder un visa pour entrer au Maroc et qu’il est estimé que, sur 10 migrants, 7 restent sur le continent.
Retrouvez l’ensemble des carnets de voyages au Maroc organisé par CDM en octobre 2018 :
(2/4) – « Entre monarchie et citoyenneté : une cohabitation délicate »
(3/4) – « Patrimoine et dialogue interreligieux »
(4/4) – « Patrimoine et dialogue interreligieux »
Illustration : à Rabat