EGYPTE : Témoignage du père Nabil Gabriel, directeur de Caritas Égypte

« Le vivre-ensemble existe en Égypte mais il est fragile ».

Interview publiée le 13 mai 2011 sur le site du Secours Catholique.Le père Nabil Gabriel, directeur de Caritas Égypte, défend la réalité d’un véritable vivre-ensemble entre chrétiens et musulmans dans son pays, malgré la multiplication d’affrontements interreligieux.

 

 

 

 

 

D.R.Père Nabil Gabriel, directeur de Caritas Egypte Comment expliquez-vous la recrudescence des tensions interconfessionnelles en Égypte ?

Il s’agit de phénomènes pénibles et regrettables mais ponctuels. Je ne pense donc pas qu’il faille généraliser. Depuis une dizaine d’années, ces incidents s’accélèrent mais personne n’arrive vraiment à expliquer les causes de ce regain de violences. Par ailleurs, les explications officiellement fournies ne sont généralement guère convaincantes. Dans le cas de l’église brûlée à Imbaba,le 7 mai dernier, l’incident a été expliqué par une expression de la colère des musulmans qui protestaient contre la rétention par l’Église d’une chrétienne voulant se convertir à l’Islam. On a également cru qu’il s’agissait de partisans de l’ancien régime qui voulaient répandre le chaos. Mon opinion est que nous assistons à une montée d’un Islam radical dans le monde entier, et l’Égypte ne fait pas exception.

 

Pensez-vous que ce radicalisme de l’Islam entraine une intransigeance chez les Chrétiens ?

Tout à fait. Ces évènements atteignent toute la communauté chrétienne. Ces derniers veulent protester contre cette injustice, ce qui est un réflexe de défense légitime. Mais ces violences accroissent la méfiance des Chrétiens et provoquent un repli de la communauté. Au final, elles élèvent des barrières entre les communautés qui n’existaient pas jusqu’alors.

 

En janvier dernier, Messages du Secours Catholique vous interrogeait sur le même sujet à la suite des attentats d’Alexandrie. Vous répondiez qu’il existe un réel vivre-ensemble entre chrétiens et musulmans en Égypte. Avez-vous changé d’opinion depuis les évènements d’Imbaba ?

Je suis toujours convaincu qu’il existe un réel vivre-ensemble dans la vie quotidienne des Égyptiens. J’en fais le constat tous les jours personnellement et également à travers les actions de Caritas Égypte. Toutefois ce vivre-ensemble est fragile et pourrait être brisé si les troubles persistaient.

 

Avez-vous remarqué une division au sein des bénéficiaires musulmans et chrétiens de Caritas Égypte ?

Non, les gens viennent demander un service et n’accordent pas d’importance à l’étiquette catholique de Caritas. Nous recevons d’ailleurs plus de musulmans que de chrétiens dans nos dispensaires. Par ailleurs, nos salariés musulmans et chrétiens restent unis malgré ces évènements.

 

Le nouveau gouvernement a prévu de revoir la constitution. Pensez-vous que l’article 2, qui décrète que les principes islamiques constituent la source principale de la législation égyptienne, sera supprimé ?

Cet article a été introduit dans la constitution dans les années 70. Actuellement, un courant laïcisant souhaite sa suppression. Mais j’estime que le nouveau gouvernement n’est pas encore assez fort pour se lancer dans la suppression de cet article face à une forte hausse de l’Islam radical. Cette entreprise est belle et juste mais elle est vouée à l’échec.

 

Propos recueillis par Clémence Richard