F. Timothy Radcliffe, o.p. – « Comment espérer aujourd’hui ? La leçon de l’Algérie »

Regard sur la béatification d’Oran – 6/6 – Timothy Radcliffe, o.p., ancien Maître de l’Ordre des Prêcheurs (1992-2001), dans une conférence  prononcée le 21/02/2019 au Couvent des Dominicains (Montréal, Québec), décrit l’amitié islamo-chrétienne dont témoigne la béatification d’Oran comme un signe qui nous est donné pour espérer aujourd’hui. (Crédits photos : Présence/Philippe Vaillancourt)

En introduction de sa conférence, Timothy Radcliffe confie sa « joie » de retourner quand il le peut au Moyen-Orient, car « tant bien que mal, ils y ont gardé vivant l’espérance en Dieu ». « Il n’y a rien de mieux, poursuit-il, que de séjourner en Irak pour se remonter le moral. Pourquoi est-ce ainsi ? Parce qu’on y découvre que plusieurs des choses que nous faisons ici (au Québec, à Oxford où il réside), sans y réfléchir, sont là-bas remplis d’espérance. » Ainsi en est-il de « prier, chanter et faire de la musique, d’étudier, de faire des bonnes choses qu’il est nécessaire de faire chaque jour, et de demeurer fidèle, de rester. » C’est pour développer l’importance de la bonté quotidienne comme raison d’espérer aujourd’hui qu’il évoque ce que représente pour lui les liens qui unissent musulmans et chrétiens en Algérie. Voici un extrait de la conférence…

« On peut se demander quelle est l’importance des petits actes de bonté en zone de guerre. Est-ce qu’ils font vraiment une différence ? Je dirais « oui » … « Oui ! » Je l’ai vu de façon profonde quand je suis allez en Algérie pour la béatification des 19 moines, frères et sœurs, en décembre l’année dernière.

Ils sont demeurés sur place quand la violence a éclaté dans les années 1990. Ils l’on fait pour amour pour leurs amis musulmans. Et ils ont été martyrisés.

Quand le grand archevêque Henri Teissier a dit à une sœur : « Vous savez, il y a le risque que vos vies soient prises ». Elle a répondu : « Mais nos vies sont déjà données ».

J’ai demeuré avec un de nos frères, Pierre Claverie, quelques semaines avant sa mort. Il savait qu’elle viendrait à lui parce qu’on ne pouvait pas supporter qu’un évêque catholique soit ami avec des musulmans. Pierre a explosé avec son chauffeur, un musulman, qui s’appelait Mohamed Bouchikhi. Mohamed est allé le chercher à l’aéroport, et quand ils sont arrivés à l’évêché, ils étaient attendus. Le mur avait été bourré de dynamite qui a pris feu au moment de leur retour.

Quand je suis arrivé pour les funérailles, trois jours plus tard, il y avait une religieuse qui ramassait encore leurs restes avec une cuillère. Des centaines de musulmans sont venus à ses funérailles. À la fin une jeune femme a donné un témoignage disant qu’elle était devenue athée, mais qu’elle était revenue à l’islam grâce à Pierre. Elle a dit : « lui il était aussi l’évêque des musulmans ». Et peu à peu, un murmure en arabe a rempli la cathédrale. J’ai demandé ce qu’il disait… « Il était aussi notre, il était l’évêque des musulmans ». Et maintenant sa tombe est toujours couverte par les fleurs déposées par les chrétiens et les musulmans. C’est devenu un lieu de pèlerinage.

Et quand je suis revenu à Oran pour la béatification de ces religieux en décembre, nous avons reçu un extraordinaire accueil de la part des autorités musulmanes. Le ministre des Affaires religieuses, Mohamed Aïssa, a exprimé l’entière satisfaction du gouvernement quant à cette béatification. Il avait des centaines d’officiels musulmans, venues pour partager notre célébration. Leur présence a été accueilli par un tonnerre d’applaudissements.

Le soir nous sommes tous allés voir une pièce de théâtre à propos de Pierre, l’évêque, et de son chauffeur musulman, Mohamed. Une pièce écrite par un jeune frère dominicain français. La mère de Mohamed était assise au premier rang, elle a soufflé des baisers à l’acteur qui jouait le rôle de son fils décédé.

Rien de pareil n’est jamais arrivé auparavant dans un pays à majorité musulmane, au meilleur de ma connaissance ! Comment cela fut-il possible ? Parce que ces chrétiens ont offert et ont reçu l’amitié, et alors des choses merveilleuses sont arrivées.

Fais l’œuvre bonne que tu peux faire ce jour et Dieu donnera son fruit en son temps. »

Timothy Radcliffe, o.p.

 

Cette conférence, organisée par l’Institut de pastoral des Dominicains de Montréal (Québec), a été donnée le 21/02/2019, dans l’église Saint-Albert-le-Grand (couvent des Dominicains). Cliquez ICI pour accéder à la vidéo dans son intégralité.

Retrouvez l’ensemble des textes de notre série « Regards sur la béatification d’Oran », ICI.