Titre
Le ciel attendraRéalisateur
Marie-Castille Mention SchaarPays
FranceType
filmAnnée
Septembre 2016Date de publication
14 janvier 2017Le ciel attendra
Une fiction pédagogique sur la radicalisation islamiste au féminin
Déjà Les cowboys de Thomas Bidegain, La route d’Istanbul de Rachid Bouchared traitaient le sujet d’enfants partis rejoindre Daech en Syrie recherchés par leurs parents. En février 2016 un téléfilm Ne m’abandonne pas, de Xavier Durringer, suit le parcours d’une jeune fille radicalisée, prête à tout pour partir en Syrie et touche des lycéens.
Pensant elle aussi que la fiction peut servir de prise de conscience, Marie-Castille Mention Schaar (Bowling, Les Héritiers) commence le tournage d’un film 3 jours après les attentats parisiens du 13 novembre 2015. Enquêtes, visionnage de vidéos de propagande, intégration de l’équipe de l’anthropologue Dounia Bouzar, accueillant des jeunes – qui reviennent ou ont voulu partir pour la Syrie – au Centre de Prévention contre les Dérives Sectaires liées à l’Islam (CPDSI), devenu, depuis septembre 2016, le Centre de Prévention, de Déradicalisation et de Suivi Individuel.
D’emblée le spectateur, confronté aux craintes qu’un couple expose dans le cadre d’un cercle de parole animé par Dounia Bouzar, qui joue son propre rôle, plonge dans le désarroi, l’état d’incertitude et d’incompréhension qui est celui des parents. A travers une narration bousculée mêlant le présent au passé, un montage rapide et éclaté exprimant le chamboulement des existences, le spectateur est mis sous tension, appelé à faire effort lui aussi pour comprendre l’incompréhensible des deux histoires parallèles de deux filles qui ne se connaissent pas.
Celle de Sonia (Noémie Merlant) en phase de déradicalisation auprès de ses parents (classe moyenne cultivée, la mère, Sandrine Bonnaire, très impliquée, le père, Zinedine Soualem, aimant et soutenant les efforts de la mère, mais trop autoritaire pour toucher sa fille) qui la récupèrent, au tout début du film, à l’aéroport de Nice où elle s’est évanouie, au moment d’entrer dans l’avion qui devait la mener à Istanbul, puis assistent avec terreur à son arrestation par un commando de policiers, apprenant qu’elle était sur le point « d’ actionner » dans un attentat.
Et celle de Mélanie (Naomi Amarger), fille de parents divorcés (la mère coiffeuse, Clotilde Coureau et le père, Yvan Attal, trop absent et dilettante), qui vit seule avec sa mère, aime l’école et ses copines, joue du violoncelle et s’implique dans l’humanitaire car elle veut changer le monde, dont la grand-mère vient de mourir et dont on suit la radicalisation à partir de ce moment-là, par l’intermédiaire d’un coup de foudre pour un « prince » rencontré sur Internet.
On comprendra seulement à la fin du film le lien qui s’est créé entre les deux filles, mises en contact par la cellule de recrutement qui les a sensibilisées, convaincues et fanatisées à sa cause. Mais tandis que Mélanie entre dans l’engrenage et disparaît en Syrie, Sonia va pouvoir, difficilement, en sortir grâce au soutien de ses parents et à l’association de décryptage des manipulations prosélytes djihadistes. Derniers plans : Sonia à l’arrière de la voiture de ses parents, mais cette fois la vitre est baissée et elle sort son visage libéré et ouvert à la vie, c’est l’affiche. En contrechamp une haute construction pyramidale photographiée en contre-plongée, escalier sacrificiel que gravit une femme en niqab, sombre et solitaire victime. Métaphore parlante pour la thèse du film.
La question du djihadisme et de la radicalisation est très sensible et très complexe. Beaucoup y réfléchissent. Le choix exclusif de Dounia Bouzar ne fait pas l’unanimité et un film peut difficilement respecter toutes les nuances sans faire de raccourcis.
Mais on peut lui reconnaître certains mérites : suivre une pédagogie pour les plus jeunes et métaphoriser pour cela l’engagement dans la mort de l’autre des radicalisés ; montrer le terrible engrenage des mécanismes de recrutement utilisés par les terroristes ; donner une image de l’Islam plus conforme à la réalité, c’est à dire soucieux de respect et de tolérance, comme le dit si bien l’amie de Mélanie lors d’une prière commune : “ce ne sont pas les détails qui comptent mais le cœur” ; montrer la douleur des parents, celle des mères brisées, démunies, qui n’ont que l’amour à offrir pour sauver leur enfant ; montrer aussi qu’il existe des solutions, à travers les actions de prévention et de dé-radicalisation, ce que le titre du film Le ciel attendra évoque.
Pascale Cougard