Titre

En attendant les hirondelles

Réalisateur

Karim Moussaoui

Pays

Type

film

Année

08/11/2017

Date de publication

9 décembre 2017

En attendant les hirondelles

La grâce de la fiction.

Premier long métrage d’un jeune réalisateur de 41 ans auteur de courts métrages remarqués dans divers festivals et qui, en 2013, dans Les jours d’avant, s’est penché sur la décennie noire du terrorisme, le film de Karim Moussaoui étonne par une évocation à la fois réaliste et poétique d’une Algérie contemporaine traumatisée par la guerre civile et l’emprise d’un pouvoir autoritaire.

En trois courts récits entrelacés chaque fois par un personnage, une structure narrative ouverte indéfiniment comme le montre le quatrième personnage que la caméra commence à suivre au moment de la fin, le film décrit des trajectoires, des errances, des inquiétudes, des choix impossibles ou pas, des désirs inassouvis, traversant une société algérienne mouvante, urbaine et rurale, bourgeoise et populaire.

Mourad, promoteur immobilier divorcé, en visite chez son ex-femme, Lila, bientôt à la retraite, l’écoute se plaindre que tout va mal, que rien ne change et sur sa demande sermonne leur fils qui veut abandonner ses études de médecine. Alors qu’il vient de la quitter, sa voiture tombe en panne dans un quartier périphérique et au milieu d’immeubles inachevés béants ; il est le témoin d’un violent tabassage. Loin d’appeler la police, il se cache et tout semble alors lui échapper.

La caméra va  suivre  alors son assistant le jeune Djalil, qui lui demande un congé de trois jours. Le père d’Aïcha le réclame comme chauffeur pour les conduire en province où la jeune fille doit rencontrer son futur mari. Commence un road-movie dans les paysages somptueux du Sud, révélant que les deux jeunes gens s’aiment depuis longtemps. Une nuit d’étape surréelle dans un hôtel désert leur permet d’exprimer leur désir en une danse magnifiée par la chanson Ya Zina de Raïna Raï, qui se démultiplie ensuite dans la danse entraînante et colorée qu’un groupe de jeunes musiciens offre au regard du spectateur. Sur le chemin du retour vers la belle-famille d’Aïcha, le chauffeur de taxi s’arrête pour secourir un automobiliste en panne.

La caméra suit alors Dahman, neurologue, qui va être soudainement rattrapé par son passé, à la veille de son mariage. Une femme lui reproche de n’être pas intervenu lorsqu’elle a été violée en sa présence par des islamistes durant la guerre civile. Lui aussi s’est retrouvé en situation de voir quelque chose qui, détruisant une vie, ne devait pas détruire la sienne. Répudiée par sa famille et par la société qui ne reconnaît pas son enfant en l’absence de père, elle lui demande d’assumer sa responsabilité  en donnant au moins son nom au fils qui ne sait que pousser des cris inarticulés.

Autant de situations qui pourraient ne faire qu’illustrer la situation d’un pays arrêté, d’un pays blessé, d’un pays qui crie, exprimée par des plans fixes et silencieux sur les ordures encombrant un site ou les façades lugubres de chantiers arrêtés ouverts à tous vents.

Mais la sensualité des scènes de danse et de chant, la beauté méditative  et originelle des paysages de désert, l’attention portée aux détails, aux visages, aux gestes, aux lieux, à la musique, apportent leur grâce  à tout moment.

Lorsqu’à la fin, le médecin revient, après avoir hésité, chercher l’enfant autiste et hurleur, la caméra s’envole vers un ciel lumineux tandis que la musique de Bach « Viens maintenant, Sauveur des païens » fait frémir l’âme. Un métissage d’influences culturelles éloquent dans ce film porteur d’espérance.

Même si le film n’a reçu le soutien financier de l’Algérie qu’après sa sélection officielle au Festival de Cannes, Moussaoui appartient à une nouvelle génération de réalisateurs qui veulent travailler hors des contraintes de l’Etat, quitte à chercher des producteurs étrangers comme Les Films Pelléas en l’occurrence. Il reste beaucoup à faire mais En attendant les hirondelles, de sa mélancolie même et des décombres d’une Algérie souffrante fait surgir un pays qui rêve, qui danse et qui chante, un pays où il est possible de prendre soin des blessés du passé pour construire l’avenir, sitôt l’été des hirondelles revenu[1].

Pascale Cougard

[1] Sélection Un certain regard, Cannes 2017. Grand prix au Festival d’Oran du film arabe.