Titre

Retour à Bollène

Réalisateur

Saïd Hamich

Pays

Type

film

Année

2017, sortie en salle le 29/05/2018

Date de publication

1 juillet 2018

Retour à Bollène

Dans ce premier film, inspiré par sa propre enfance à Bollène, Saïd Hamich, mêlant l’intime et le social, construit avec finesse le portrait d’une ville de province aux mains de l’extrême droite, tout en interrogeant l’identité française d’origine maghrébine à travers un transfuge social déchiré entre culture familiale traditionnelle et mondialisation.

Cette fiction brosse l’état des lieux de la région de Bollène, comme le montre la caméra qui, sitôt quittée la déambulation de Nassim dans les rues nocturnes d’Abu Dhabi sous l’œil hautain des buildings illuminés, montre la petite ville du Vaucluse cernée de champs et de serres, son cours et surtout ses cités vacantes pleines d’immigrés arabes, au bord des croisées d’autoroute, situation idéale pour les dépôts de drogue furtifs et sécurisés. Avec le grand panneau d’accueil : Bollène, une ville, une identité, sur fond d’un visage d’enfant aux yeux bleus.

C’est par le regard de ce fils aîné d’une famille immigrée du Maroc, trente ans, brillant étudiant trilingue ayant trouvé du travail à Abu Dhabi et revenant pour la première fois depuis bien longtemps, avec sa fiancée américaine Elisabeth, à l’occasion de la demande en mariage de l’une de ses sœurs, que se fait le constat d’une situation de déréliction sociale grave.

A travers son errance dans la ville et la cité, à travers ses rencontres à la recherche du temps perdu, peu à peu émerge le portrait d’un jeune plein de rancœur et surtout de douleur. Il a fui Bollène et la dure emprise d’un père qui obligeait ses enfants à travailler dès l’âge de 11 ans dans une petite ferme maraîchère avec la complicité du patron, pour réussir des études à Paris. Puis il a dû quitter une France où il ne trouvait pas de stage malgré ses diplômes et apprendre, loin de ses racines familiales, le mode de vie de la mondialisation financière et économique.

Aussi revient-il, pour tenter de retisser des liens et présenter sa fiancée, avec une appréhension bien justifiée. En effet c’est un décalage complet qu’il ressent dans cette famille dont il ne partage plus les fondamentaux culturels et religieux. Toute une suite de provocations autour des prières, d’un verre de vin ou de gâteaux refusés montrent finement les déchirements intérieurs d’un Nassim qui ne sait plus articuler le langage de l’amour. Comme si la détresse sociale qui l’entoure, ayant éloigné de lui ses amis rappeurs, son demi-frère et ses sœurs et même son ancien professeur d’histoire qui, de communiste qu’il était est devenu le maire Ligue du Sud de la ville, se doublait d’un verrouillage intérieur, d’une incapacité à trouver une identité dans le complexe croisement des cultures et du vécu personnel.

Car c’est toute la subtilité du film que de tisser douleur intime et détresse sociale, à travers un personnage en quête de paternité et de famille. L’entrelacement des travellings sur les paysages urbains, inlassablement parcourus, de jour comme de nuit, et de gros plans sur les visages montre ce double malaise qui handicape Nassim.

Lorsque la sœur lance à son frère, avec pudeur, qu’il est surtout un égoïste qui ne sait rien donner et attend tout des autres, elle est entendue. Nassim accepte au moment de partir les gâteaux cuisinés par la mère et va rencontrer son père. La scène, attendue, est étonnante. Sous une serre mal entretenue, derrière la silhouette massive du fils sanglé dans son élégant manteau, apparaît, penchée sur les salades, la frêle silhouette d’un père voué au travail de la terre. Il attendait en fait que le fils vienne à lui et cet acte accompli, après avoir déploré un temps où l’on n’aime plus travailler, il félicite sobrement son fils, avant que revienne s’étendre entre eux le silence.

Le finale est ambivalent sur ce que le retour à Bollène aura appris à Nassim : certes la rencontre avec le père a ouvert la porte bienfaisante des pleurs et des mots d’amour pour la fiancée qui était partie, incapable de porter tant de douleur murée. Mais il n’arrive pas à enregistrer sur son répondeur les messages jaillis de son cœur, où s’expriment sa vulnérabilité et sa tendresse. Le troisième message redevient aussi bref et impersonnel qu’au début du film, le visage de Nassim s’est fermé, incapable de prononcer une troisième fois le «  Je t’aime » annonciateur d’un choix de vie clair.

Le film lui-même est bref et intense : il interroge, sans juger ; certes il est difficile de faire du social sans évoquer le politique, parfois suggéré, mais ici ce qui domine, c’est le drame intérieur, constamment refoulé, d’un fils de parents immigrés que sa propre intégration a rendu étranger à lui-même et aux autres.

Pascale Cougard