Titre

Sofia

Réalisateur

Meryem Benm’Berek

Pays

,

Type

film

Année

Sortie en salles le 05/09/2018. Durée : 1h20

Date de publication

28 septembre 2018

Sofia

Premier long métrage courageux d’une jeune réalisatrice marocaine, l’histoire amère de Sofia, au-delà de la question des femmes, dénonce les mécanismes de classe figés de toute une société.

En ouverture, un carton rappelle que le code pénal marocain punit de prison les femmes coupables de relations sexuelles hors mariage. Le premier plan introduit dans l’intimité du repas d’une famille de classe moyenne, dans l’encadrure du salon au-dessus de laquelle figure la sourate Al-Imran dédiée à la famille[1]. Tandis que parents et ami de la famille envisagent l’acquisition d’une terre agricole de bon revenu, dans la cuisine, Sofia, qui ne sortira qu’en djellaba et maîtrise mal le français, découvre qu’elle est sur le point d’accoucher et elle tait le nom du père. Sa cousine Lena, qui est médecin, l’accompagne en urgence, d’hôpital en clinique, dans la quête d’un lieu acceptant cette situation illégale. Le bébé clandestin est une fille, bien mal accueillie, le premier mouvement de sa mère étant de la laisser dans un carton dans la rue !

Lena veille, il faut alors trouver le père et, quel qu’il soit, la solution ne peut être qu’un mariage pour satisfaire aux conventions sociales. Le spectateur suit les péripéties qui s’ensuivent, avec un coup de théâtre jetant un jour nouveau sur une situation bien plus complexe encore que ce que l’on pouvait croire au début. Sofia la silencieuse prend une décision qui interroge par son ambiguïté. Tout cela à travers le regard occidentalisé de Lena, qui, issue d’un milieu privilégié, parle mieux le français que l’arabe, sa mère ayant épousé un riche français, clé de leur progression sociale à tous, dont l’ombre toute puissante plane au long du film sans qu’on le voie jamais, restes mal digérés d’une ancienne colonisation.

Traversant Casablanca en quelques plans d’ensemble, du centre-ville avec son quartier pauvre au beau quartier du bord de mer, le film montre les clivages familiaux et sociaux d’une société patriarcale traditionnelle dans laquelle Sofia se coule sans hésiter, quitte à faire une victime collatérale. Sous un porche de la médina, au fond des chambres du petit appartement des parents de Sofia ou dans les vastes pièces et la terrasse en front de mer de la villa de la tante de Sofia (superbe scène entre les deux mères et leurs deux filles dans le vent), se joue une violence sociale qui ne le cède en rien aux violences sexistes.  Comme Leila Slimani l’écrit dans un livre de témoignages Sexe et mensonges[2], consacré à la vie sexuelle au Maroc : «  La société marocaine est tout entière basée sur la notion de dépendance au groupe. Et le groupe est perçu par l’individu à la fois comme une fatalité, dont il ne peut se départir, et comme une chance, puisqu’il peut toujours compter sur une forme de solidarité grégaire. »

Avec une grande économie de moyens et une pudeur destinée à faire circuler le film au Maroc pour qu’un vrai débat surgisse, le film, qui est bien plus qu’un simple drame familial, interroge cette relation ambiguë et hypocrite dont chacun essaye de tirer parti et dont les victimes sont tout autant les hommes  que  les femmes[3].

Pascale Cougard

 

[1] Cf. Coran, sourate 3 : La famille de Imran

[2] Sexe et mensonges : la vie sexuelle au Maroc / Leïla Slimani.- Les Arènes, 06/09/2017

[3] Sélection Officielle Un Certain regard, au 71e Festival de Cannes (2018), prix du scénario.