
Armand Puig.
Opinion
Armand Puig i Tàrrech, doyen de la faculté de théologie de Catalogne (Barcelone)
Le processus de globalisation doit tenir compte d’une différence fondamentale entre paix « stratégique » et paix « préventive »(1). La paix ne peut être le fruit d’une globalisation qui relie tout aux calculs économiques, elle doit devenir une paix « préventive » à l’intérieur d’une globalisation qui envisage de façon sérieuse le rêve d’une paix mondiale et la fin de toutes les guerres. En tout cas, on ne peut plus en rester à une notion de paix qui se limiterait à parler d’absence de conflit. Un monde globalisé ne peut pas subsister si on ne globalise également la justice. La justice est le contenu de la paix, surtout dans un monde où les grands intérêts peuvent faire oublier les besoins des pauvres et des petits. La paix est le grand don divin, qui résume tous les biens accordés à l’humanité.
De son côté, l’ennemi de la guerre est le logos, la raison qui fonde la justice et la paix, l’intelligence du monde en termes de dialogue et non de conflit. Guerre et injustice ont le conflit comme dénominateur commun. Le conflit jaillit en dernier lieu parce qu’une force de mal s’exprime avec une polarisation des avis et des choix. Cette force de mal provoque la méconnaissance et le refus, et finit par la négation de l’autre.
Les sociétés européennes participent d’un climat d’exaltation de l’individu. L’amour de soi comme but de l’existence, combiné avec l’indifférence par rapport aux pauvres – les pauvres ne sont pas à la mode ! –, donne comme résultat un modèle d’homme qui commence et finit dans le « moi ». Mais la globalisation, qui est un mouvement de rapprochement des êtres humains, peut aider à saisir l’importance du « nous », qui reste le vrai constructeur de la paix. Or, ce « nous » commence au cœur de chacun, avec la conscience que « la paix est la mère de tous les biens ». La paix est tout d’abord une attitude intérieure, un mouvement de l’esprit, un mode d’être. Elle est beaucoup plus qu’un sentiment ou qu’un raisonnement ou qu’un choix stratégique. Le « lieu » de la paix est le cœur des hommes et des peuples. Acquiers la paix et beaucoup en profiteront autour de toi !
La paix se manifeste comme une question spirituelle qui doit être comprise non seulement au niveau du désir des personnes et des peuples, mais à niveau du besoin, comme un élément incontournable de notre monde. L’histoire mondiale enseigne comment on est habitué à établir des alliances orientées vers la guerre. Mais, maintenant, on doit faire un grand pacte pour la paix qui conduise à s’habituer à la paix. Le pacte pour la paix est un élément fondamental dans un monde globalisé. Ce pacte jaillit de la conviction que la guerre est toujours un malheur et que paix et bonheur coïncident.
La construction de la paix se fait sur deux registres. Chaque personne doit mettre en mouvement les énergies de proximité et de rapprochement, d’amour et de sympathie, de don et de partage. Ces énergies jaillissent d’un être humain qui reconnaît la valeur de l’autre. D’autre part, une paix juste inclut la progressive modification d’un système économique qui ne décide pas seulement au bénéfice du profit des plus forts mais qui fait des choix « de caractère moral » et prône la « redistribution » des biens de ce monde ( Caritas in veritate 37). Concrètement, en Europe construire la paix signifie tenir compte d’une mosaïque de langues et de cultures mais aussi des blessures qu’une longue histoire a provoquées entre les États et à l’intérieur des propres États. Tout cela ne doit pas constituer une barrière insurmontable : la Pax europea arrivera quand les différences ne seront plus des barrières mais un patrimoine commun, quand l’on trouvera le juste milieu entre liberté et solidarité, quand on parviendra à une culture partagée dans laquelle le vivre ensemble devient une évidence.
Samuel Huntington a proposé le conflit des civilisations. Mais la pluralité de religions et de cultures ne contribue pas au conflit mais à la naissance d’une civilisation globale formée par beaucoup de civilisations, lesquelles, comme le souligne Andrea Riccardi, sont appelées à vivre ensemble et en paix. Il faut tenir compte que l’Église chrétienne est la première institution globale de l’histoire. Le modèle chrétien de globalisation a deux caractéristiques : l’intégration sociale, rendue possible par l’amour fraternel, et la sollicitude pour les pauvres, mise en acte à travers le souci des plus défavorisés. À partir de ce modèle on peut comprendre l’importance du vivre ensemble. La globalisation en marche dans l’ oikouménê formée maintenant par le monde entier, demande la pratique du vivre ensemble comme fondement et moyen d’une paix durable. Le vivre ensemble est « un fait spirituel » ( Pacem in terris 31). Il faut qu’on développe l’art de vivre ensemble en ayant soin de la vie de l’autre sous toutes ses formes, en assurant le droit au travail sans lequel une violence diffuse déchire la construction de la paix et en bâtissant la civilisation de l’amour, du don et de la gratuité ( Caritas in veritate 33).
(1) Conclusions de la conférence « La globalisation entre la paix et la guerre » (Chaire Andrea riccardi, Collège des Bernardins, Paris, 26 février 2013).
Source : www.la-croix.com le 26 février 2013