L’appel de Gaza. Lettre ouverte aux dirigeants chrétiens.

Avec notre partenaire Les Amis de Sabeel France, nous diffusons une lettre de plusieurs théologiens et chefs religieux du monde entier intitulée “L’appel de Gaza : une lettre ouverte aux dirigeants chrétiens, aux Eglises et aux théologiens de l’Occident”. Cette lettre exprime son chagrin au sujet du silence de l’Église, compte tenu de l’immense souffrance documentée à Gaza, et exhorte les dirigeants chrétiens, l’Église occidentale et les théologiens à agir. Elle est accompagnée d’un appel à signature individuelle.

Lettre ouverte aux dirigeants chrétiens,
aux Églises et aux théologiens occidentaux

Chers Frères, disciples de Jésus,

C’est une communauté de chrétiens du monde entier qui vous écrit le cœur lourd. Depuis nos pays, nous observons avec horreur la crise qui se déroule en Palestine/Israël. Depuis le 7 octobre 2023, plus de 1 200 Juifs israéliens et plus de 37 000 Palestiniens de Gaza ont été tués. En Cisjordanie, plus de 500 Palestiniens ont été tués, dont de nombreuses femmes et enfants. Nous condamnons tout cela. Et pourtant, nous constatons encore et encore que les dirigeants chrétiens, les théologiens, les institutions et les Églises du monde entier non seulement n’ont pas interpellé leurs gouvernements, qui soutiennent l’armée israélienne, mais ont également été incapables d’interpeller Israël pour ce qui est manifestement la destruction totale de Gaza, entraînant une perte dramatique de vies humaines dans cette région. Les disciples de Jésus en Palestine, les Nations unies et la Cour internationale de justice ont qualifié les actions d’Israël à Gaza et en Cisjordanie de nettoyage ethnique et de génocide plausible. Le pape a qualifié de “terrorisme” l’assaut d’Israël sur Gaza. Nous faisons appel à vous, vous implorant de vous demander comment Dieu voit cette litanie de destruction et de mort, et ce que le Christ exige de vous.

Nous entrons dans le neuvième mois de ce cauchemar. Israël a largué environ 75 000 tonnes d’explosifs sur Gaza, la bande de terre la plus densément peuplée au monde. Gaza a été tellement bombardée que les habitants de Gaza n’ont aucun endroit sûr où aller. Le nombre de civils tués est stupéfiant et la liste des blessés est difficile à imaginer. Toutes les organisations humanitaires internationales prévoient la survenue de pertes massives en vies humaines, dues à la famine et aux maladies. Un diplomate de carrière, John Elder, travaillant pour l’UNICEF (agence des Nations Unies pour l’enfance), a décrit en détail les violences subies par les enfants. “Je n’ai jamais vu autant d’enfants souffrant de blessures de guerre… Il y a les éclats d’obus qui déchirent le corps, il y a les brûlures, des brûlures atroces qui affectent les enfants, il y a les os fracturés”. Des médecins du monde entier, venus soigner les blessés, restent traumatisés du simple fait de ce qu’ils voient sur place. Pourquoi y a-t-il une telle tolérance à l’égard de ces mutilations et tueries massives?

Le massacre auquel nous assistons à Gaza ne ressemble à rien de ce que nous avons vu ou imaginé : Israël ne s’est même pas abstenu de cibler les églises chrétiennes. Lorsque Israël a bombardé l’église orthodoxe Saint-Porphyre à Gaza, de nombreux chrétiens sont morts. Des familles évangéliques se sont entassées dans l’église baptiste de Gaza, s’attendant à un sort similaire. Un adolescent a utilisé WhatsApp pour dire à un ami : “Nous n’avons pas de nourriture et nous n’avons plus d’eau. C’est mon église – et si je dois mourir, je mourrai ici”. Deux chrétiennes, une femme âgée et sa fille, ont été abattues par un tireur d’élite israélien devant l’église catholique de la Sainte-Famille un matin de décembre, simplement parce qu’elles étaient sorties par la porte d’entrée. Des chars israéliens ont tiré de plein fouet sur l’association caritative de Mère Teresa, située à proximité, qui accueillant 54 personnes handicapées. Sept autres chrétiens ont ensuite été abattus dans l’enceinte de l’église. Nous ne pouvons et ne devons pas ignorer ces récits, rapportés par le Patriarcat latin de Jérusalem. Nous devons prendre la douloureuse décision de regarder le visagesdes morts. Il ne s’agit pas de “dommages collatéraux”, car c’est intentionnel, et c’est scandaleux. Nous ne pouvons qu’en être profondément troublés.

Nous sommes profondément attristés. Mais autre chose nous trouble également.

Dans le monde entier, on sait que cette guerre est financée par les États-Unis et qu’elle est alimentée en armes par leurs arsenaux. Les bombes larguées sur Gaza proviennent des États-Unis d’Amérique. Les jets qui les larguent viennent des États-Unis. Les États-Unis ont non seulement livré une quantité record de bombes à Israël, mais ils ont également pris la défense d’Israël devant le Conseil de sécurité des Nations unies, lui offrant une couverture diplomatique pour qu’il agisse en toute impunité. Récemment, le président Biden a déclaré qu’une attaque totale sur Rafah – une ville peuplée de 1,5 million de réfugiés vivant sous des tentes – constituerait une “ligne rouge”. Israël a tout de même effectué des bombardements et l’administration Biden a déclaré que le carnage n’avait pas franchi la “ligne rouge” du président. Pourtant, l’Église est restée largement silencieuse.

Ainsi nous posons la question suivante : pourquoi ce silence ? Où retentit la voix de l’Église occidentale dans tout cela ? En novembre 2023, des milliers de chrétiens, au lieu d’appeler à l’arrêt des massacres, ont envahi le National Mall de Washington et, à l’initiative de personnalités politiques et de pasteurs, ont scandé “Pas de cessez-le-feu!”. Cette foule de quelque 100 000 personnes, composée entre autres de sionistes chrétiens, a appelé à plus de bombardements, plus de tueries et plus d’horreur. Un pasteur de San Antonio, le révérend John Hagee, a proclamé devant la foule que tout accord de paix entre Palestiniens et Israéliens serait l’œuvre de l’Antéchrist. Le monde entier a pu assister à cette scène, et nous en avons été horrifiés. D’autres courants de l’Église occidentale sont aussi restés silencieux, ne condamnant pas cette hérésie. Cela confirme que l’Église d’Occident – et plus directement l’Église américaine – a perdu sa boussole morale et n’a plus de vision claire de ce que Jésus veut pour ce monde.

En d’autres termes, nous ne pouvons pas imaginer Jésus scandant “Pas de cessez-le-feu” alors qu’on retire des bébés des décombres de Gaza.

Nous reconnaissons que les militants du Hamas et des groupes qui lui sont associés doivent être arrêtés et traduits en justice devant les tribunaux internationaux. Mais nous sommes aussi d’accord avec le pape lorsqu’il dit qu’Israël fait régner sa propre terreur. Nous pensons que l’État d’Israël doit également être traduit devant les tribunaux internationaux. D’innombrables innocents sont pris pour cibles et tués en toute impunité. C’est pourquoi nous demandons avec insistance : où sont les pasteurs, les théologiens, les prophètes et les universitaires de nos Églises et de nos institutions qui osent dire la vérité au pouvoir pendant ce génocide ? Nous avons déjà vu cela auparavant. Dans l’Allemagne des années 1940, dans le Sud des Etats-Unis des années 1960 avec le mouvement Jim Crow [et ses lynchages de Noirs], au Rwanda en 1994, les chrétiens ont eu peur de s’exprimer, en temps de guerre et de génocide. Nous célébrons le courage de Bonhoeffer et de Niemöller, mais la vérité est que le silence et la peur ont été notre réponse habituelle.

C’est pourquoi nous demandons simplement à l’Église de réexaminer les nombreux appels que l’on entend pour soutenir Israël. Nous devons également nous tenir aux côtés des populations désespérées et assiégées de Gaza et de Cisjordanie. Ils sont eux aussi victimes des ténèbres actuelles. Eux aussi sont à l’image de Dieu. Nous appelons les chrétiens occidentaux, qui sont l’allié le plus visible d’Israël dans le monde occidental, à refuser de réduire les Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie à de simples dommages collatéraux dans une prétendue guerre sainte, et à reconnaître que les tueries aveugles n’assureront pas la sécurité des Juifs en Israël, ni dans le monde entier.

Israël est le plus gros acheteur de matériel militaire américain. Pourtant, les États-Unis se présentent comme le champion mondial des droits de l’homme et de la démocratie. Cette hypocrisie fait obstacle à l’ordre juridique international et nous met tous dans une plus grande insécurité. Les Juifs, en Israël et dans toute la diaspora, sont moins en sécurité parce que les instruments de la responsabilité internationale, élaborés pour garantir leur sécurité, vont faire défaut en cas de besoin. De même, les efforts visant à promouvoir les droits de l’homme dans le reste du monde sont sapés par cette politique de deux poids, deux mesures.

Ce que disent les dirigeants chrétiens est important. Lorsque nous préférons les épées et les lances aux socs de charrue et aux serpes, nous trahissons Jésus, le Prince de la paix.

Il est peut-être temps pour nous de réexaminer certaines idées à succès qui ont circulé dans de nombreuses Eglises.

  • Est-il vrai, par exemple, que l’État séculier moderne d’Israël est le même que l’Israël de l’Ancien Testament ? L’alliance de l’Ancien Testament n’exige-t-elle pas la fidélité religieuse et la droiture ?
  • Jésus n’a-t-il pas annoncé le Royaume de Dieu dans lequel tous ses membres, juifs et païens, accueillant Jésus comme Messie, doivent vivre la nouvelle alliance promise par les Écritures ? N’est-ce pas là notre mandat et notre identité ?
  • Parmi les nombreuses promesses faites au peuple de Dieu dans l’Ancien Testament, pourquoi n’avons-nous pas vu de quelle manière Jésus accomplit ces promesses, les remodèle, et les partage à tous ceux qui croient en lui, sans aucune partialité ?
  • Avons-nous oublié les paroles des prophètes selon lesquelles la justice et l’équité envers tous les peuples sont la mesure de ce que veut dire vivre selon le désir de Dieu? Depuis sa création en 1948, [l’État d’] Israël s’est constitué comme une nation centrée sur un privilège racial. Près de la moitié de la population du grand Israël est palestinienne. Et pourtant, ces habitants font l’expérience d’une hostilité globale, d’une oppression systémique et structurelle au quotidien, de la violence et de la discrimination, plutôt que de l’équité et de la justice commandées par les Écritures.
  • N’est-il pas temps de remettre sérieusement en question les hypothèses morales et théologiques du sionisme chrétien ? Il défend un nationalisme ethnique justifié théologiquement par l’Israël moderne. Il soutient que la Terre Sainte appartient entièrement et exclusivement aux Juifs, en raison de leur race et de leur histoire. Les chrétiens arabes, dont l’histoire remonte au jour de la Pentecôte (Actes 2:11), font aujourd’hui partie des Palestiniens qui vivent sur cette terre. Ce privilège accordé aux Juifs israéliens a conduit à la violence : le vol de terres palestiniennes, l’expulsion de familles palestiniennes et même des meurtres, le tout au nom de Dieu. Comment comprendre cette situation ?
  • Certains universitaires chrétiens se demandent aujourd’hui pourquoi le sionisme chrétien a pris une place centrale dans un si grand nombre de nos Églises. Ce point de vue rend centrales et permanentes les promesses faites à Abraham, les utilisant pour justifier un État juif séculier. Mais ce rôle central met à l’écart l’alliance du Christ, en la dégradant, et en oubliant que chaque promesse de l’alliance doit être vue à travers le Messie et son œuvre. Comment concilier tout cela ?
  • Poser ces questions n’est pas de l’antisémitisme. Nous soulevons ces questions dans le cadre de notre travail de discernement fidèle. Avant tout, notre foi est enracinée en Jésus et dans son “accueil” de toutes les tribus et nations.

Jésus a dit : “Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés enfants de Dieu” (Matthieu 5:9).  Le monde a besoin que l’on témoigne du royaume pacifique de Dieu. Notre monde en ébullition a besoin de dirigeants chrétiens courageux qui défient les démagogues belliqueux, dont les voix dominent nos médias et subvertissent l’Évangile du Christ. Nous sommes l’Église, citoyens du royaume de Dieu. Nous sommes à la suite de Jésus. Cela signifie que nous nourrissons les affamés, accueillons les étrangers, vêtons ceux qui sont nus, soignons les malades et rendons visite à ceux qui sont en prison (Matthieu 25). Cela inclut évidemment les otages israéliens en péril, les 2,2 millions d’habitants de Gaza déplacés, affamés, et les 2,9 millions de Palestiniens constamment menacés en Cisjordanie.

Prions pour la paix en Israël et en Palestine et agissons en nous adressant à ceux qui détiennent le pouvoir, en prenant la parole dans nos assemblées relgieuses, en proclamant que le massacre d’innocents n’est pas la voie de Jésus et qu’il ne peut y avoir de paix durable sans justice et sans dignité pour tous les peuples de Palestine et d’Israël.

Avec amour et respect,

(par ordre alphabétique)

  • René August. Théologien et prêtre, Église anglicane d’Afrique du Sud

  • Gary M. Burge. Théologien, éducateur, auteur, pasteur

  • Ruth Padilla DeBorst. Théologienne, professeur associé au Western Theological Seminary

  • Lisa Sharon Harper. Théologienne, écrivain, conférencière. Présidente et fondatrice de FreedomRoad.us.

  • Mark Labberton. Théologien, pasteur, éducateur et auteur

  • David Zac Niringiye. Théologien, auteur et évêque de l’Église d’Ouganda (anglicane)

  • Vinoth Ramachandra. Auteur, conférencier et ancien secrétaire au dialogue et à l’engagement social de l’International Fellowship of Evangelical Students.

(Les attributions sont faites uniquement à des fins d’identification et ne représentent pas nécessairement la position des institutions. La lettre de l’Appel de Gaza a été initiée et rédigée entièrement par les auteurs cités ci-dessus. Peace Catalyst International a l’honneur de soutenir ce projet et d’héberger la lettre et ses ressources sur son site web.)

Pour signer la lettre cliquer ici

Traduit par nos soins. Texte original en anglais : https://www.peacecatalyst.org/gaza-open-letter

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