Par Frédéric Encel, maître de conférences à Sciences-Po Paris et à l’ESG Management School. Source le site du journal Le Monde du 22 novembre 2012
En appliquant à la géopolitique la célèbre distinction du sociologue allemand Max Weber entre “éthique de conviction” et “éthique de responsabilité” cela pourrait donner ceci : dans le premier cas, un pouvoir promet tout à sa population en adoptant une posture maximaliste ; dans le second cas, ce pouvoir privilégie le pragmatisme, les intérêts rationnels du collectif plutôt que des rêves chimériques.
L’Autorité palestinienne, depuis au moins l’accession de Mahmoud Abbas à sa présidence en 2005, est passée de l’une à l’autre, renonçant à l’usage de la violence et cherchant à créer un Etat-nation au côté d’Israël et non à sa place. Il en va de même pour le pouvoir israélien qui, bien que souvent à tendance nationaliste ces dernières années, n’a jamais officiellement renoncé au processus de paix avec l’Autorité palestinienne.
Mais tel n’est pas le cas du Hamas, au pouvoir à Gaza depuis 2007. A chaque initiative diplomatique de Mahmoud Abbas (celle du 29 novembre à l’ONU), lors de chaque processus de paix entre Israël et l’Autorité palestinienne (Oslo 1993, Annapolis 2007), avant chaque scrutin législatif israélien (1996, 2001, 2009), sa politique est celle du pire. Attentats-suicides, tirs de missiles, assassinats de Palestiniens modérés… Seules les modalités varient, le choix du chaos demeure.
Surtout contre Israël ? Tactiquement, oui. Car c’est bien le sol et les autobus de l’Etat juif que le Hamas frappe le plus vigoureusement. Mais stratégiquement, l’Autorité palestinienne constitue la cible ultime en tant que régime concurrent sur les plans idéologique, social et religieux. L’objectif du Hamas est de contrôler les Palestiniens, non seulement ceux de l’intérieur (Gaza, Cisjordanie, Israël) mais aussi ceux de l’extérieur vivant dans les Etats arabes limitrophes, à commencer par le Liban.
Sombre perspective à la fois pour les Palestiniens eux-mêmes (ceux de Gaza s’exaspérant déjà sous la chape théocratique du Hamas), et pour Israël. Certes ces Frères musulmans, dont le Hamas incarne la branche palestinienne, sont aujourd’hui au pouvoir en Egypte. Mais l’Egypte du pragmatique président Mohamed Morsi ne prétend pas anéantir Israël, accords de paix de Camp David (1978) oblige. Il en va différemment du Hamas qui n’a jamais reconnu le droit à l’existence d’un Etat juif, ni dans les frontières légales du 4 juin 1967 ni même dans celles prévues par le plan onusien de partage de la Palestine de 1947 !
Pourtant, son refus existentiel et volontiers antisémite n’est même pas la meilleure traduction du refus obstiné du Hamas de passer de l’éthique de conviction à celle de responsabilité. Au fond, que ce groupe radical entende garder comme monnaies d’échange la reconnaissance d’Israël et l’arrêt de la violence – deux exigences du Quartet (ONU, Union européenne, Russie, Etats-Unis) pour d’éventuelles négociations à venir – pourrait se concevoir.
LOURDE ERREUR
Mais qu’il refuse catégoriquement de reconnaître les traités signés par l’Autorité palestinienne – la troisième exigence de la communauté internationale -, voilà qui renseigne sur son objectif final. Car parmi ces traités, il y a bien entendu celui d’Oslo établi avec l’Etat juif…
Des élections législatives auront lieu en Israël le 22 janvier 2013. Le gouvernement qui en naîtra, quelle que soit sa composition, ferait une lourde erreur en ne négociant pas avec Mahmoud Abbas dont le Hamas est le mortel rival. Car c’est avec l’Autorité palestinienne légale et légitime, celle qui s’inscrit réellement dans l’éthique de responsabilité, qu’Israël devra trouver à terme – le plus tôt possible – un traité de paix sur la base de deux Etats souverains pour deux peuples par le biais des sacrifices mutuellement consentis.
En attendant, une question se pose : est-ce l’approche de ce scrutin qui a convaincu Benyamin Nétanyahou d’éliminer le chef militaire du Hamas ? Peu probable, tant les sondages le donnaient de toute façon vainqueur depuis des mois. Une chose est sûre en revanche : le Hamas, lui, a déjà voté Likoud.
Frédéric Encel, maître de conférences à Sciences-Po Paris et à l’ESG Management School