Les chrétiens de Palestine s’adressent à leurs frères et sœurs de France – II.

Voici trois entretiens qui sont aussi trois appels de soutien et de solidarité de la part de chrétiens de Palestine.

Le premier, réalisé pour CDM par Marlène Tuininga, émane du Père Jamal Khader, curé de la paroisse de la Sainte famille à Ramallah. Il est directeur général des écoles du Patriarcat latin de Jérusalem (1) et membre du Comité de dialogue avec les juifs du Patriarcat latin. Il décrit la situation douloureuse de la minorité que constituent les chrétiens vivant en Palestine, situation aggravée par la pandémie du coronavirus, en particulier à Gaza en proie à la pauvreté et au manque de médicaments, et s’indigne que personne n’en parle. Il décrit les effets délétères d’une occupation qui dure depuis plus de 53 ans rappelle-t-il, notamment dans le difficile cheminement de l’œcuménisme dont il relate la réalité complexe. Selon lui le manque d’espoir est le danger le plus grave. Exhortant l’Occident à écouter les habitants de son pays, il nous appelle tous à ne pas oublier l’Eglise qui est en Terre Sainte.

Le second témoignage a été recueilli par Marilyne Pacouret auprès de Juwana Elias, jeune chrétienne palestinienne qui a suivi une partie de ses études supérieures en France où elle est entrée en relation avec CDM. Dénonçant particulièrement l’arbitraire des autorisations de circulation qui entravent injustement la liberté des chrétiens de Palestine d’exprimer leur foi dans leur pays, elle nous appelle à ne pas oublier les pierres vivantes qu’ils sont et à diffuser la voix des Palestiniens au monde entier.

De son côté le Père Johnny Abou Khalil curé de la paroisse de Taybeh, souligne dans l’entretien qu’il a accordé à Marilyn Pacouret que les chrétiens de Palestine sont en tant que Palestiniens soumis aux mêmes restrictions de liberté que tous leur concitoyens, ce qui affecte gravement l’exercice de leur culte. A propos de l’évolution de la pandémie en cours, s’il considère qu’à Taybeth la situation est sous contrôle d’un point de vue sanitaire, il déplore ses conséquences économiques, rappelant que l’Autorité Palestinienne manque de moyens financiers pour payer ses fonctionnaires. Très réservé sur les changements concrets que la nouvelle administration américaine engagera en 2021 après les initiatives de la présidence Trump qui ont profondément affecté les Palestiniens, il escompte cependant quelques améliorations concernant notamment le financement des crédits indispensables pour la survie des Palestiniens. S’adressant aux chrétiens de France, il leur adresse ce message : “Nous avons besoin d’écoute, de présence pour ne plus ressentir cet abandon.

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Jamal Khader, curé à Ramallah.

Entretien avec Marlène Tuininga pour CDM.

MT – Bonjour Père Jamal. Vous qui êtes curé à Ramallah, pouvez-vous nous parler de la Palestine et en particulier du vécu des chrétiens ? Aujourd’hui ceux-ci ne représentent plus qu’à peine 2 % de la population, bien moins qu’avant. Pourquoi cette diminution ? A cause de l’occupation ? Quelles sont les relations entre vous et l’État israélien et pouvez-vous compter sur la solidarité des chrétiens vivant en Israël ? Avez-vous des problèmes pour organiser les célébrations ?

JK – Les chrétiens palestiniens sont des citoyens comme tous les autres citoyens des Territoires Palestiniens. C’est une petite communauté, mais pas vraiment une minorité. Même si nous ne représentons que 2% de la population, nous sommes bien (sur)représentés dans les institutions de l’Autorité Palestinienne. Étant une petite communauté, nous ressentons davantage l’émigration, et elle a des effets négatifs. Vivre sous occupation militaire pendant plus de 53 ans rend la vie dure pour les Palestiniens en général. Et avec la politique de l’administration américaine, les droits des Palestiniens sont totalement oubliés. Le manque d’espoir en une vie meilleure, et normale, encourage les familles à chercher ailleurs un futur pour leurs enfants.

Pour l’État d’Israël, les chrétiens palestiniens sont des Palestiniens. Nous souffrons comme tous les autres Palestiniens. La communauté arabe en Israël montre une vraie solidarité ; mais la politique de la droite israélienne est de nier le droit à l’auto-détermination aux Palestiniens (voir la loi fondamentale sur l’« État-nation » de 2018, où ce droit est réservé seulement aux juifs).

Je crois que le manque d’espoir est le danger le plus grave. Voilà l’importance du travail de l’Église pour garder l’espoir malgré tout. Notre foi en la résurrection ne nous permet jamais de perdre l’espoir ; la vie est plus forte que la mort, et la lumière du dimanche de Pâques est plus forte que les ténèbres du Vendredi saint.

– Vous vivez en “Terre Sainte” et vous êtes les descendants, les héritiers des apôtres. Est-ce que vous estimez que cette spécificité est suffisamment reconnue, par rapport aux autres chrétiens d’Orient, par exemple ?

– Les chrétiens de la Terre Sainte sont fiers de vivre sur la terre de Jésus, et de continuer la présence chrétienne depuis les apôtres. La vie liturgique gravite autour des lieux saints : nous célébrons Noêl à Bethléem, nous marchons dans les rues de Jérusalem le dimanche des rameaux, nous attendons le « feu saint » du Saint Sépulcre le samedi saint pour le porter dans toutes les paroisses ! C’est une grâce et une mission : nous représentons l’Église dans la terre de Jésus, et les pèlerins ne trouveront pas seulement des « lieux saints », mais des « pierres vivantes » qui continuent à porter le témoignage chrétien sur cette terre bénie. Tous les chrétiens de Terre Sainte partagent cet héritage et cette responsabilité.

– Qu’en est-il de l’œcuménisme ? A-t-il avancé ces derniers temps ? Les petites querelles autour des Lieux Saints qui amusent tant les Occidentaux ont-elles été aplanies ? Quelles initiatives communes y a-t-il ? Et où en sont les relations avec les musulmans et les juifs ?

– L’œcuménisme est pratiqué parmi les chrétiens, qui se sentent plus proches les uns des autres. La situation s’est améliorée énormément, surtout grâce aux mariages mixtes (que nous ne considérons plus « mixtes » quand il s’agit des catholiques et orthodoxes !). C’est la vie de chaque jour, les relations au niveau des paroisses qui change positivement. Si par œcuménisme nous voulons dire des rencontres officielles, des dialogues parmi les théologiens et les chefs des Églises, cet œcuménisme n’existe malheureusement pas en Terre Sainte. Mais nous essayons de travailler ensemble, comme par exemple l’accord entre les Églises pour restaurer la coupole et le tombeau du Christ représente un développement positif.

Les relations avec les musulmans et les juifs sont deux réalités différentes. Les musulmans sont des Palestiniens, avec qui nous partageons tout sauf la foi. Les relations sont en général bonnes, et le dialogue est une partie de notre vie de chaque jour. L’Islam politique est une réalité assez récente.

Pour les juifs, nos relations sont affectées par la situation politique et surtout par les revendications bibliques sur la terre. Un dialogue serein au niveau de la foi n’existe pas. Un judaïsme lié à l’idéologie sioniste ne permet pas ce genre de dialogue.

– Quelle est et quelle a été la participation des chrétiens au combat pour la justice et la liberté ? Sabeel* et Kairos* sont-ils entendus ou sont-ils très minoritaires ?

Le message biblique est entendu par les chrétiens palestiniens, et j’espère qu’il sera entendu par tous les chrétiens. Ce message est un message de dignité, de justice, de réconciliation. Kairos Palestine est une expression de ce message pour les Palestiniens, et beaucoup trouvent dans le document l’expression d’une position chrétienne authentique. Les Palestiniens chrétiens, comme individus, institutions ou Églises, sont présent beaucoup plus que ne l’indique leur pourcentage. Nous avons par exemple 67 écoles chrétiennes, avec plus de vingt mille élèves chrétiens et musulmans. Les valeurs évangéliques de justice, de non-violence, de coexistence… sont enseignées et pratiquées dans ces écoles. L’Église a aussi un réseau d’hôpitaux, de maisons pour les vieillards, les handicapés… Le message évangélique continue à résonner, grâce au soutien de beaucoup d’amis et d’Églises à travers le monde.

Le Kairos est aussi un message politique basé sur notre foi ; un message de résistance non-violente à l’occupation militaire israélienne, pour un futur meilleur ouvert aux Palestiniens et aux Israéliens. C’est notre appel, en direction de tous nos frères et sœurs, à nous aider et à refuser d’utiliser la Parole de Dieu pour justifier l’injustice.

– Personnellement j’ai été frappée, à chaque visite, par la fuite grandissante de tant de Palestiniens dans le consumérisme. Est-ce que les Églises se préoccupent de ce problème ?

La question est de nature culturelle. Ce qui est considéré comme consumérisme dans une culture pourrait être considéré comme générosité dans une autre. Dans notre culture, l’apparaître est une valeur importante. Ce qui peut expliquer le phénomène. L’Église s’occupe de la solidarité sociale, surtout avec les plus vulnérables.

– Quel est l’impact de la pandémie de coronavirus sur le peuple palestinien ? Quelles en sont les conséquences sociales et économiques ?

La situation dans les Territoires palestiniens est déjà difficile avec l’occupation militaire israélienne. Avec la pandémie, les difficultés économiques et sanitaires se sont aggravées. Le confinement a créé des difficultés économiques et le système sanitaire est précaire… Chaque jour nous avons des centaines de cas.

Rappelons-nous que l’administration américaine a arrêté l’aide à la Palestine, y compris l’aide aux hôpitaux. De plus les taxes collectées par Israël ne sont plus remboursées aux Palestiniens. Par ailleurs il n’y a plus de pèlerinages : ceux-ci représentent une source de revenus importante pour les chrétiens de Bethléem. Et l’Autorité palestinienne n’a plus les moyens nécessaires pour payer les salaires de ses employés.

Là où l’impact se fait le plus sentir, c’est à Gaza, en proie à la pauvreté due au siège et au manque de médicaments. Or, personne n’en parle ! C’est une honte d’invoquer des prétextes politiques pour se taire sur la situation à Gaza. Près de deux millions de Palestiniens souffrent du fait que la pandémie s’ajoute à la catastrophe humanitaire existante.

J’ajoute que l’Église en Terre Sainte a redoublé d’efforts, avec l’aide de beaucoup d’amis dont surtout les Chevaliers du Saint-Sépulcre, pour soutenir les écoles et aider les populations les plus vulnérables.

– Une question encore de la part de Maurice Buttin (administrateur de CDM) : qu’avez-vous retenu, concrètement, du forum organisé par Marc Lebret à Jérusalem auquel vous avez participé en septembre dernier ?

Le forum organisé par Marc Lebret montre l’importance d’écouter l’autre. L’Occident, et surtout les chrétiens ont besoin d’écouter les habitants de ce pays. Souvent, on arrive avec des idées toutes faites ou avec un souci d’équilibre. Quel équilibre est-il possible entre occupants et occupés ? Connaître le contexte est indispensable pour mieux comprendre la situation. Pour donner un exemple : quand un Français dit juif, et un Palestinien dit “juif, ils parlent de deux réalités totalement différentes. Pour un Français, les juifs, qui ont toujours été minoritaires en Europe, ont souffert à cause de la majorité chrétienne. Pour un Palestinien, les juifs occupent sa terre, l’ont expulsé de son pays, et prétendent posséder la terre au nom de Dieu. Voilà pourquoi nous avons besoin d’écouter l’autre et de nous mettre à sa place pour mieux comprendre la situation.

– Enfin, Père, quel message souhaitez-vous adresser aux chrétiens français de la part des chrétiens palestiniens ?

L’Église partout dans le monde est le corps du Christ, si un membre souffre, tous les membres souffrent avec lui (1Cor 12, 26). Vous avez des frères et des sœurs qui continuent la présence et le témoignage de la première communauté chrétienne ; ils vivent dans une injustice qui les pousse à quitter le pays. En tant que membres d’un seul corps, votre solidarité est demandée pour que la communauté chrétienne puisse continuer sa mission en Terre Sainte. Tout a commencé à Jérusalem, et les premiers disciples sont partie de Jérusalem jusqu’aux extrémité de la terre. N’oubliez pas l’Église qui est à Jérusalem et en Terre Sainte dans vos prières et dans votre engagement pour la justice.

Propos recueillis par Marlène Tuininga

* Ndlr.

“Sabeel” est un Centre œcuménique de Théologie de la Libération (le chemin, le chenal, ou la source, en arabe), implanté à Jérusalem et à Nazareth, qui réunit depuis 1994 des chrétiens palestiniens de diverses Églises et traditions.

“Kairos” est une association de chrétiens palestiniens qui a lancé en 2009 un appel à la communauté internationale pour qu’elle l’aide à résister à l’occupation israélienne. L’association rappelle l’urgence de la situation en Palestine à chaque Noël. Kairos est le mot grec pour dire “le moment opportun ou décisif”.

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Juwana Elias, enseignante palestinienne à Ramallah.

Entretien avec Marilyn Pacouret pour CDM.

1. MP. Tout d’abord peux-tu te présenter à nos lecteurs du site de Chrétiens de la Méditerranée ?

– JE. Je m’appelle Juwana ELIAS. Je suis une Palestinienne chrétienne qui habite actuellement à Ramallah mais je suis originaire du village de Burqin, dans le gouvernorat de Jénine et où se trouve l’église dans laquelle Jésus a soigné les dix lépreux.

J’ai fait des études de langue française et de traduction d’anglais à l’université de Birzeit à côté de Ramallah en Palestine ; puis j’ai continué mon master en didactique du Français Langue Etrangère à l’université de la Sorbonne Nouvelle à Paris.

J’ai ensuite travaillé à l’ambassade de Palestine en France. Mon travail à l’ambassade m’a valu l’honneur d’entrer en contact avec l’association des Chrétiens de la Méditerranée et certains de ses membres.

2. Que peux-tu nous dire de la situation que vivent les chrétiens palestiniens aujourd’hui ? Quelles sont les conséquences de la colonisation sur leur vie quotidienne et sur leurs pratiques religieuses ? Quelle liberté ont-ils d’exercer leur culte ? Et notamment, ceux des territoires occupés peuvent-ils se rendre à Jérusalem pour prier ?

– La situation que vivent les Palestiniens en ce moment, et en particulier les chrétiens, est très difficile, car à la crise mondiale due au coronavirus et à sa propagation croissante dans les territoires occupés palestiniens, s’ajoute un autre virus qui est l’occupation.

Les chrétiens, détenteurs de la carte d’identité palestinienne, ont besoin, comme certains le savent, d’un permis qui les autorise à passer les check-points séparant la Cisjordanie de Jérusalem et des territoires de 1948*, pour arriver dans ces parties de la Palestine historique occupée. Or, certains Palestiniens chrétiens n’ont pas le droit de l’obtenir, depuis des années, sous prétexte qu’ils constituent un danger pour Israël. Ces personnes n’auront visité Jérusalem (à 15 km de Ramallah) et les lieux saints qui s’y trouvent qu’une fois dans leur vie, voire jamais de leur vie. Et aussi, pendant les fêtes de Noël et de Pâques que les chrétiens de toute la Palestine célèbrent à Jérusalem, cette ville leur sera interdite tandis qu’un étranger qui vient du bout du monde pourra y venir.

Le pire est lorsque, dans la même famille, certaines personnes obtiennent un permis alors que d’autres n’en obtiennent pas. Dans ce cas-là, la famille est obligée de se séparer pendant les fêtes ou de renoncer à aller fêter Pâques, par exemple, à Jérusalem pour des raisons politiques. Ainsi, ceux qui ont de la famille à Jérusalem ou dans les territoires de 1948, comme moi par exemple, ne peuvent pas ressentir la joie de la réunion en famille pendant les fêtes, car il ne leur est pas possible de lui rendre visite.

3. Comment la jeune chrétienne que tu es ressent-elle l’injustice ?

– En tant que jeune chrétienne palestinienne, je ressens l’injustice quand je n’ai pas la possibilité de me déplacer librement dans mon pays, le pays où mes ancêtres sont nés et ont grandi. Je ressens l’injustice au moment où, pendant les fêtes, je ne peux pas aller prier à Jérusalem et pratiquer ma religion comme tout autre chrétien dans le monde.

Je ressens l’injustice dans les restrictions sociales auxquelles je suis confrontée constamment, Par exemple, mon cousin est né il y a trois mois à Jérusalem et je ne peux pas aller le voir parce que je n’ai pas de permis. Il y a une injustice parce que je dois passer au moins une heure et demie pour arriver à Jérusalem, ce qui normalement devrait prendre seulement 15 minutes, à cause des check-points. II y a de l’injustice lorsque je vois ma mère, qui est née à Jérusalem, et qui ne peut pas y aller, car dans la loi israélienne toute personne qui n’habite pas à Jérusalem se fait retirer sa carte d’identité de Jérusalem, Autrement dit, elle est sans carte d’identité ni nationalité.

C’est cela, l’injustice, quand tu es contraint dans tes pratiques religieuses et sociales et dans ta liberté de circulation dans ton propre pays.

4. Aux États-Unis, une nouvelle présidence va commencer dans peu de temps. Cela est-il porteur d’espoir chez les Palestiniens ?

– A mon avis, tous les présidents américains qui se sont succédé durant l’histoire de l’Amérique ont suivi une seule politique. Je ne pense donc pas qu’il y ait un grand changement politique avec la nouvelle présidence américaine et qu’elle pourra faire avancer la situation en Palestine vers le mieux.

Un progrès aura lieu lorsque l’Europe changera de position ou aura une position unique envers la cause palestinienne. A ce moment l’Europe pourrait exercer une pression sur les États-Unis pour qu’ils changent d’attitude envers la Palestine et que la paix règne sur tout le Moyen-Orient.

5. Quel appel, quel message voudrais-tu envoyer aux chrétiens français ? Quelles seraient à ton avis leurs démarches de solidarité envers les chrétiens de Palestine et plus largement le peuple palestinien ?

A nos chers chrétiens en France, [je dirais] que nous sommes frères et sœurs au nom du Christ. Nous partageons la même douleur et nous nous dirigeons vers la joie de la résurrection. Vous avez toujours été à nos côtés, nous les Palestiniens et les chrétiens en particulier, et je suis sûre que vous le serez toujours.

Lorsque vous venez visiter la Palestine, pensez à ne pas seulement visiter les lieux saints et les lieux de culte mais aussi les pierres vivantes que nous sommes. Pensez à les rencontrer, à discuter avec eux, à leur faire ressentir que vous êtes toujours, comme vous l’étiez, à leur service.

N’oubliez pas de transmettre ces messages entendus et ces moments vécus d’un peuple opprimé, en France et au monde entier, et de les faire connaître à ceux qui les ignorent. Il est bien de soutenir financièrement des projets en Palestine mais le plus important est de diffuser la voix des Palestiniens au monde entier, non seulement leur tristesse et leur souffrance, mais aussi leur culture, leurs réalisations, leurs pensées et leur moral. Soyons unis dans nos prières ! Soyons solidaires !

Propos recueillis par Marilyn Pacouret, 06/12/2020.

Ndlr

* Territoires de 1948 : partie de la Palestine sous mandat britannique non conquise par l’armée israélienne à l’issue de la guerre de 1948. Elle le sera en 1967 à la suite de la guerre des six jours.

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Père Johnny Abou Khalil, curé de Taybeh.

Entretien avec Marilyn Pacouret pour CDM.

Quand nous nous sommes rencontrés en octobre de l’année 2019 avec Juwana Elias vous aviez émis le souhait de venir en France pour parler de la situation que vivent au quotidien les chrétiens de Palestine mais au-delà tous les Palestiniens sans distinction de confession religieuse. .

Les événements qui ont suivi la pandémie n’ont pas permis que notre association “Chrétiens de la Méditerranée vous accueille en France et nous le regrettons. Mais nous espérons vous voir très vite ici ou chez vous.

1. MP. Avant de commencer,  je voudrais, au nom de notre association, vous remercier infiniment d’accepter de répondre à nos questions. Pourriez-vous, pour nos lecteurs, vous présenter ?

-Je suis le père Johnny Abou Khalil, prêtre diocésain du Patriarcat latin de Jérusalem. J’ai été ordonné prêtre en 2008. J’ai d’abord été le prêtre responsable de l’année propédeutique au séminaire de Beit Jala puis pendant six ans curé de Naplouse et j’entame ma sixième année comme curé de Taybeh. Je suis également directeur spirituel de l’école de Taybeh. Je suis nommé par le Patriarcat latin de Jérusalem.

2. Pourriez-vous décrire la réalité quotidienne à laquelle se heurte les chrétiens des territoires occupés? Quelles atteintes aux droits humains subissent-ils ? [Le père Johnny Abu Khalil nous dit que lui-même vient de recevoir un courrier du ministère israélien lui retirant sa carte de résident de Jérusalem puisqu’il réside maintenant à Taybeh].

– Tout d’abord, ce qu’il faut avoir en tête, c’est que les chrétiens palestiniens sont des Palestiniens. Ils sont par conséquent, comme tous les Palestiniens, victimes de l’occupation israélienne. Ils subissent les mêmes empêchements de circulation, les mêmes violations des droits de l’homme. Cette situation sous occupation, avant la pandémie, était par conséquent la même pour tous, mais pour les chrétiens palestiniens cela impliquait la difficulté de se déplacer pour se rendre dans leurs lieux de culte.

La construction du mur à partir de 2003 a entraîné de multiples difficultés supplémentaires, notamment celle de ne pas pouvoir aller travailler. Par exemple de nombreux chrétiens travaillaient à Jérusalem dans les hôpitaux ou dans des maisons d’hôtes qui accueillent les pèlerins. Ils n’ont plus le droit de s’y rendre sans permis de travail. Ils n’ont pas non plus le droit de fréquenter des lieux saints autres que Bethléem, car cette ville est située en Cisjordanie.

Pour mettre en œuvre leur identité chrétienne et faire vivre l’évangile, ils ont besoin là encore d’un permis. Alors qu’Israël vante la liberté religieuse, dans le même temps il restreint cette liberté en ne délivrant que très peu de permis et de manière exceptionnelle. Même les prêtres doivent demander un permis de circuler. Ces permis sont accordés en nombre restreint y compris durant les fêtes religieuses. Les prêtres sont soumis à cette humiliation au même titre que leurs paroissiens. L’attente aux check-points peut durer des heures sans assurance d’être autorisé à les franchir.

Pour les chrétiens palestiniens, les permis sont demandés parfois pour un village par le curé ou par le patriarcat latin de Jérusalem ou encore par les gouvernorats (provinces ou départements : mohafazah en arabe) tels celui de Ramallah, de Naplouse, ou de Jéricho.

Le retrait de la carte de résident de Jérusalem ne touche pas que les chrétiens palestiniens mais cette situation est malheureusement le lot de tous les habitants de Jérusalem qui, s’ils quittent leur maison de Jérusalem, perdent leur carte de résident. Ce qui entraîne la perte de leur maison et de leurs droits en tant que résidents de Jérusalem. C’est pourquoi il est évident que Israël bafoue cette liberté de religion qui est un droit fondamental.

3. La situation particulière due à la pandémie entraîne-t-elle des restrictions de liberté encore plus sévères ? Quelle est la situation sanitaire à laquelle vous devez faire face ? 

– Au début de la pandémie, nous avons été contraints de subir une situation très dure : nous sommes restés confinés durant de longs mois (trois à quatre). Les églises sont restées fermées y compris durant les fêtes de Pâques. Une messe a été organisée avec les évêques et prêtres du Patriarcat latin de Jérusalem mais sans public, cette messe de Pâques a été transmise par la télévision, internet et les médias. Cela a été très difficile de gérer l’après-confinement car les magasins sont restés fermés, et l’Autorité palestinienne n’a pas pu compenser la perte de salaires, car nous n’avons pas d’assurance chômage ni de sécurité sociale comme en France. La pauvreté a augmenté. L’Église a beaucoup aidé la population par de l’aide en nourriture mais aussi une aide financière. Au moment de Pâques, à Taybeh, j’ai voulu que les enfants sentent l’esprit de Pâques, nous leur avons distribué des chocolats.

Du point de vue des soins médicaux, la situation était correcte.

Aujourd’hui, la situation est différente, elle s’est un peu améliorée mais l’Autorité palestinienne a décrété cependant une interdiction de sortir de 19 heures à 6  heures du matin, du jeudi soir au samedi matin, tous les week-ends donc pour éviter la propagation du virus, et ceci durant 15 jours. Les écoles restent ouvertes mais accueillent les élèves par demi-groupe de quinze élèves avec des masques. Pendant qu’un groupe est présent à l’école, l’autre groupe reçoit un enseignement à distance par visio-conférence.

A Taybeh, la situation est sous contrôle. Très peu de cas de covid-19 (trois seulement) et ils ont tous été très bien soignés.

Mais en ce qui concerne la crise économique, il n’en va pas de même… Depuis le mois de mai les fonctionnaires ne touchent pas de salaire… L’Autorité palestinienne manque d’argent notamment parce qu’Israël retient toujours les taxes qu’il lui doit.

4. A partir du 20 janvier une nouvelle administration américaine se mettra en place. Qu’attendez-vous du nouveau président ? Quels espoirs nourrissent les Palestiniens de ce changement de présidence aux États-Unis ?

Les Palestiniens n’ont pas beaucoup d’espoir envers cette nouvelle administration états-unienne. Cependant ils pensent que Joë Biden sera différent de son prédécesseur et qu’il ne peut que faire mieux pour la Palestine. Notamment en ré-ouvrant l’Office palestinien de New-York que Donald Trump avait fermé. Ils espèrent que Joë Biden redonnera à l’agence des Nations-Unies [pour les réfugiés palestiniens] les crédits nécessaires. Les décisions de Donald Trump concernant la Palestine ont beaucoup affecté les Palestiniens, que se soit avec le deal du siècle, le transfert de l’ambassade des États-Unis à Jérusalem, la reconnaissance de Jérusalem comme capitale de l’État israélien, les accords entre Israël et Bahrein, les Émirats Arabes Unis, etc… Toutes ces initiatives prises sans l’accord des Palestiniens ont rendu leurs exigences inaudibles pour le monde entier. Le peuple palestinien compte non pas sur les présidents mais sur les mouvements de solidarité des citoyens à travers l’’Europe et les États-Unis. C’est dans cette solidarité active qu’il puise son espoir.

5. Enfin ma dernière question est la suivante : quelles sont vos attentes envers les chrétiens de France, quel message souhaitez-vous leur faire passer ?

– Nous attendons des pèlerins français et internationaux qu’ils ne viennent pas que pour visiter les lieux saints, mais qu’ils aillent à la rencontre des pierres vivantes que sont les chrétiens palestiniens, et aussi tous les Palestiniens. Qu’ils rencontrent les paroissiens sur place, qu’ils assistent le dimanche aux messes avec les habitants locaux. Il faut entendre la souffrance des chrétiens de Palestine. Nous n’avons pas besoin d’une aide financière, nous avons besoin d’écoute, de présence pour ne plus ressentir cet abandon ; il faut encourager les chrétiens palestiniens à rester sur leur terre, sur la Terre Sainte. Il reste 1,8% de chrétiens en Palestine ! Quand ils auront disparu, qui préservera les Lieux Saints ? C’est de Palestine qu’est partie l’Église primitive. Qui veillera à défendre cette terre ?

Nous sommes l’oxygène moral et spirituel des chrétiens du monde entier. Cette terre est celle où Jésus a vécu. Nous sommes l’Église Mère. Ne nous oubliez pas.

Père Johnny, je vous remercie d’avoir partagé avec nous votre inquiétude et votre espoir, je vous laisse le mot de la fin.

– C’est à mon tour de vous remercier, et d’avoir pris le temps, malgré les difficultés que vous traversez en France, de penser encore à vos frères chrétiens de Palestine. Même dans les moments difficiles que nous traversons tous, notre humanité et notre spiritualité ne sont pas touchées. Les corps peuvent être touchés mais nos âmes restent intactes dans la fraternité.

Je fais pour 2021 le vœu d’un renouveau. Je vous souhaite un bon temps de l’Avent et un joyeux Noël en famille et avec la famille, en Christ.

Propos recueillis par Marilyn Pacouret

Père Johnny

Ndlr.

Pour en savoir plus sur Taybeh, un article écrit par Johanna Schreiner, journaliste et cartographe, sur Visionscarto, https://visionscarto.net/taybeh-chretiens-de-palestine

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