31° Nord, 35° Est. Chroniques géographiques de la colonisation israélienne

L’auteur, Khalil Tafakji, est géographe, né à Jérusalem en 1950. Pendant plus de trente ans il est allé dans toutes les régions de la Palestine occupée pour recenser, cartographier le territoire, et ainsi élaborer la cartographie de la colonisation et de l’annexion de la Palestine : villages palestiniens existants mais aussi ceux disparus après 1948, colonies israéliennes… il a ainsi sillonné toute la région du nord au sud, de l’ouest à l’est.

Son ouvrage est riche non seulement d’expériences sur le terrain, mais aussi de faits historiques, et documenté de nombreuses cartes très détaillées sans compter les photographies qui nous permettent de visualiser ce qui était historiquement défini : comme la carte de la Palestine en 1945 et celle, plus récente, réalisée après les accords d’Oslo 2, en 1995. Cartes à partir desquelles nous prenons conscience de l’appropriation des terres palestiniennes par Israël.

Bien entendu, le récit de sa propre histoire, de son travail de géographe, est intimement lié à l’histoire de son peuple, de sa terre à laquelle il est attaché par de profondes racines ancestrales.

Depuis 1983, il a observé tous les territoires de la Cisjordanie, ainsi que la vieille ville de Jérusalem et ses quartiers arabes, en notant sur des cartes toutes les modifications dues à la colonisation ; il a pu ainsi en expliquer les enjeux lors d’une rencontre avec Yasser Arafat. Ce dernier ne put se résoudre à admettre la véracité des cartes, cartes qui confirmaient l’impossibilité d’un État palestinien…

Son ouvrage est passionnant qui allie toponymie politique, historique et réalités présentes.

Nous commençons la lecture à la première carte éditée par la Société d’études arabes dont Khalil Tafakji est le directeur actuel et arrivons à une description des enjeux de la modification de la ville d’Hébron, de la situation de Gaza, mais aussi des villages bédouins, de ceux “reconnus” et de ceux “non reconnus”, de Jérusalem. Jérusalem, ville tant convoitée et tant revendiquée par les trois religions¹.

L’auteur évoque et inscrit dans son livre le tracé du mur, appelé, par le gouvernement israélien, “barrière de sécurité”, par d’autres, “mur de la honte”, et jugé illégal par la Cour internationale de justice qui en a exigé le démantèlement ainsi que l’Assemblée générale de l’ONU.

Toutes ces cartes sont porteuses d’un message, message encore plus grand quand elles sont historiquement datées et qu’elles démontrent l’intensité du vol des terres, de la colonisation et l’impossibilité de voir un jour un État palestinien, comme le dit lui-même Khalil Tafakji.

Khalil est un infatigable géographe, il a mené son travail tel un archéologue, retrouvant d’anciennes cartes à l’Ecole biblique et archéologique française de Jérusalem (p.18-19), reprenant des cartes éditées en hébreu, s’appuyant sur des photos aériennes notamment celles de colonies telle que Ma’ale Adumim à quelques kilomètres de Jérusalem et visible du camp de bédouins de Jabil il Baba appelé ainsi “la colline du Pape” car le terrain a été offert par le Roi de Jordanie au Vatican.

Mais même si le message contenu dans les cartes nous conduit vers des conclusions d’un futur impossible pour un Etat palestinien, l’auteur² nous laisse entrevoir un espoir en terminant son propos par ces mots : “comme tout à Jérusalem, pour regarder l’avenir, il nous faut une fois encore nous tourner vers l’histoire. Se rappeler que tout peut changer, dans dix ans ou dans un siècle… alors oui, nous pourrions vivre ensemble, comme avant, sur une terre libérée et unifiée accueillant deux peuples…” (p. 242).

Marilyn Pacouret