Titre

Abdel-Kader, L’harmonie des contraires (1808 - 1883)

Auteur

Ahmed Bouyerdene

Type

livre

Editeur

Editions du seuil

Prix

21,30 €

Date de publication

9 août 2010

Abdel-Kader, L’harmonie des contraires (1808 – 1883)

Un nouveau livre consacré à l’Emir Abdel-Kader à l’occasion du deuxième centenaire de sa naissance par un auteur d’origine algérienne, montre la popularité d’un prince soufi algérien qui aura traversé la plus grande partie du XIXe siècle , lutté pour l’indépendance de sa patrie , subi une longue captivité, et émigré au Proche-Orient alors ottoman.

Il aura en fait, comme le montre l’auteur, su relier entre elles les spiritualités musulmane et chrétienne, religieuse et philosophique et vivre dans une convivialité renouvelée dans les trois parties de l’espace méditerranéen , le Maghreb (Algérie) , l’Europe (France) , le Machreq (Syrie).Cet être exceptionnel aux trois tranches de vie assumées est capable « d’harmoniser les contraires ».

Entre les combats, il signe des conventions de paix en 1834’ puis en 1837 avec le Général Bugeaud, et en 1847 un traité de reddition qui correspond pour lui, initié, à une mort symbolique.

Il est alors prisonnier en France sous la monarchie de juillet et la deuxième République, transporté de Marseille à Pau, de Pau à Amboise ; un comité de soutien « abdelkadérien »est présidé par le Genevois protestant Charles Eynard , auquel adhèrent Emile Girardin, les Saint-simoniens , des membres du clergé catholique . On lui rend visite dans une atmosphère spiritualiste et studieuse. Il est célèbre ; Napoléon III, qui connut également exil et prison, vient le voir à Amboise le 16 octobre 1852 , lui annonçant sa remise en liberté. Il se rend dans l’Empire Ottoman , à Brousse , puis au bout de deux ans , s’installe définitivement à Damas .

C’est que dans l’ancienne capitale omeyade,  le mausolée du Cheikh el Akbar, Mohieddine Ibn Arabi (1165-1240), dignitaire de la confrérie qadirie, comme il l’est lui-même, et qui avait quitté l’Occident , Murcie en Andalousie ,pour  finir ses jours en Orient , l’a attiré ; il le considère comme son maître spirituel à travers les siècles .

Il a l’habitude de citer ce verset coranique : « Chaque difficulté recèle un bienfait » ( XCIV , 5). L’Emir accepte de donner des cours de théologie et de mystique à la mosquée des Omeyades à raison de quatre heures par jour .Il avait rédigé à Brousse un ouvrage intitulé Rappel à l’intelligent, avis à l’indifférentLivre des Haltes. Il s’impose une discipline très stricte qu’il résume ainsi : « Je veux tenir mon âme en bride ; l’homme est un composé de soie et de fer » . (1855) et le contenu de ses cours sera publié vingt ans après sa mort sous le titre

En 1860, l’empire ottoman est en effervescence. Les réformes politiques imposées par les grandes puissances et notamment l’égalité de tous les sujets ottomans musulmans et non musulmans entraine des réactions populaires de révolte conduisant à des pogroms ; à Damas et dans plusieurs régions du Liban, les chrétiens sont victimes d’exactions et plusieurs centaines perdent la vie. Le courageux Emir avec seulement deux cents algériens sauve 5OOO chrétiens et les consuls et les religieux européens  dans la seule ville de Damas. La France ,la Russie, la Prusse ,la Grèce et même la Turquie le décorent en signe de reconnaissance. L’obédience du Grand Orient de France le sollicite pour s’affilier à la franc-maçonnerie .Il acquiescera à cette demande, ayant à l’esprit, comme le souligne l’auteur ,que son appartenance au confrérisme soufi est compatible avec l’idéal humaniste maçonnique .

Toute sa vie, l’Emir Abdel-Kader aura reconnu aux non-musulmans le droit à la différence religieuse, et il dialoguera volontiers avec tous ses interlocuteurs enthousiastes sur les plans intellectuel et spirituel. Il dira même : «  Si le Pape voulait faire une conférence entre ses prêtres et les miens, je serai heureux d’y prendre place » montrant ainsi un extraordinaire esprit d’avant-garde puisqu’une réunion de ce genre ne se tiendra pour la première fois qu’en décembre 2008. « Dieu embrasse les croyances de toutes  Ses Créatures, de même que les embrasse Sa Miséricorde » (Mawaquef26). Il craint cependant deux conséquences qui  touchent le monde actuel : que la société musulmane se sclérose et que la modernité européenne soit dépourvue d’âme.

Cet esprit œcuménique ira de pair chez lui avec un esprit scientifique. Il se rendra à Paris en 1855 à l’occasion de la tenue de la première Exposition Universelle de Paris (30 Etats participants, 5 millions de visiteurs) puis à l’Exposition ouvrière de Crystal Palace à Londres en 1865. De Ferdinand de Lesseps qui l’aura sollicité, il soutiendra le projet de percement de l’isthme de Suez et sera parmi les personnalités invitées à la cérémonie d’inauguration du Canal en 1869.

M. Bouyerderne résume en une formule judicieuse le parcours de l’Emir : « Sa spiritualité s’appuyait sur la conviction intime que l’acceptation des  paradoxes permet de se résorber dans l’Unicité (« tawhid ») ».

Cet ouvrage nous permet de mieux cerner les différentes facettes d’une personnalité qui, il y a un siècle et demi, avait fait sien le futur « Projet de l’Union de la Méditerranée » , consistant précisément à harmoniser les courants jusque là opposés entre nord et sud de la « Mer du Milieu » ou Mare Nostrum.

Glossaire de 38 termes et excellente bibliographie complètent cette description audacieuse et moderne.

Christian Lochon
Membre du réseau Chrétiens de la Méditerranée