Recension

Titre

Al-Andalus : 711 – 1492

Sous titre

Une histoire de l’Espagne musulmane

Auteur

Pierre Guichard

Type

livre

Editeur

Fayard, 2011 (1ère édition Hachette Littératures, 2000)

Collection

Pluriel

Nombre de pages

272

Prix

7,60 €

Date de publication

14 mars 2016

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Al-Andalus : 711 – 1492

Qu’il est difficile d’écrire l’histoire, au sens scientifique du terme, quand l’époque étudiée est si lointaine, les documents si rares et la mémoire collective si encombrée de mythes et d’interprétations partiales ! C’est pourtant la gageure que relève Pierre Guichard, spécialiste de l’histoire médiévale espagnole et professeur à l’Université de Lyon II. Dans un texte dense et accessible, il réussit à raconter, non seulement l’événementiel, mais aussi la sociologie, l’économie, la géopolitique et la culture de cette province arabe implantée en Occident : Al-Andalus, ou Andalousie, du nom des lointains envahisseurs, les Vandales.

Dans ses trois parties chronologiques (la conquête – l’âge classique – la fin d’un monde), Pierre Guichard révèle une histoire complexe qui se joue dans l’espace méditerranéen du VIIe siècle de notre ère, d’abord avec l’expansion arabe, puis l’affirmation de l’occident européen. C’est sous les Omeyyades de Damas que les tribus arabes de la nouvelle religion musulmane conquièrent vers l’Ouest l’Egypte et le Maghreb, et vers l’Est les territoires byzantins et perses jusqu’à l’Indus. Avec l’aide de Berbères islamisés, ils passeront en Hispanie en 711, puis en Gaule franque (nous sommes sous le règne de Dagobert). Ils trouvent, sur ces terres, d’anciens Wisigoths romanisés en pleine désorganisation féodale. De plus, chrétiens convertis à l’arianisme (qui nie la divinité du Christ,) ces peuples sont prêts à accueillir les nouveaux venus plutôt en libérateurs religieux et politiques… Mais, dès le coup d’arrêt de Poitiers, en 732, les dissensions apparaissent entre l’élément arabe et l’apport berbère, celui-ci étant considéré comme inculte, grossier, « barbare » (d’où son nom). La longue histoire de cette terre musulmane sera jalonnée de rivalités, de luttes internes, de dominations, et le lecteur aura parfois du mal à faire le tri dans ces diverses successions…

Al-Andalus s’affranchit du pouvoir central de Damas et ne reconnaît pas celui des Abbâssides de Bagdad. Rompant l’ « umma » (communauté) musulmane, c’est l’avènement du califat omeyyade indépendant, de Cordoue. Et pour Pierre Guichard, « l’âge classique » qui s’étend du VIIIe au XIe siècle. Jusqu’en 1031, c’est donc l’avènement d’une puissance prépondérante dans l’occident méditerranéen. On y assiste, comme dans toute société, à l’émergence d’une classe sociale aisée, prospère, cultivée, dominant un peuple colonisé composite, écrasé d’impôts. La société s’est culturellement arabisée, même s’il subsiste des poches chrétiennes soumises et peu visibles. Autour du Sultan s’épanouit une vie intellectuelle, scientifique et artistique, souvent supérieure à celle de l’aire orientale du monde arabe. Quant au commerce, il est monopolisé par les juifs ou par des navigateurs qui, de la côte provençale à la côte maghrébine, pratiquent la piraterie, la razzia et le commerce des esclaves.

Des ambitions internes mettent fin au califat vers 1031 et, après une période de confusion, ce sont les Almoravides (tribu berbère du Maroc) qui vont recueillir le pouvoir. Religieusement plus intégristes et militairement plus forts que les Andalous, les nouveaux maîtres favorisent cependant la vie intellectuelle des docteurs en science religieuse, oulémas et autres juristes. Mais il semble qu’on commente plus qu’on invente. Et 1147 voit l’arrivée d’une autre « dynastie », les Almohades, de religion encore plus stricte. C’est pourtant sous leurs règnes qu’un Averroès (Ibn Rush) s’autorisera à prôner le droit à la philosophie à côté de la foi religieuse : il sera destitué, exilé. A sa mort en 1198, ses écrits seront plus appréciés dans le monde chrétien que chez les musulmans qui le considèrent comme « hérétique ». D’où l’engouement occidental pour un homme qui n’était peut-être pas aussi tolérant qu’on veut bien le croire… Pas plus les Almoravides que les Almohades ne réussiront à contenir la pression des royaumes chrétiens du nord de la péninsule. Tolède avait été reprise dès 1085, marquant le début de la Reconquête. Le rapport des forces s’est inversé. Les premières années du XIIIe siècle voient tomber les villes et les provinces les unes après les autres : Valence, Séville, Cordoue, Murcie… Vers 1250, pratiquement Al-Andalus n’existe plus. Il ne subsiste qu’une petite enclave montagneuse autour de Grenade. Et c’est ce petit « royaume » qui vivra deux siècles encore, jetant les derniers feux d’une civilisation qui aura marqué le pays. Il faudra l’union des royaumes d’Aragon et de Castille pour achever la reconquête en 1492.

A cette civilisation hispano-musulmane, nous rattachons encore, et parfois de façon mythique, certains apports intellectuels ou des réalisations artistiques : la mosquée de Cordoue, la pensée d’Averroès, l’Alhambra de Grenade, l’harmonie des trois religions coexistantes… Tout n’est pas aussi simple, ni avéré. Le travail de Pierre Guichard a le mérite d’approcher une réalité, souvent davantage rêvée, voire même inventée, que vraiment étudiée.

Claude Popin