Je crois en Dieu ! – Moi non plus.

Le frère Jean Druel, dominicain et islamologue, dirige l’IDEO (Institut dominicain d’études orientales) au Caire[1].  Après deux petits livres, originaux et alertes, qui constituent des initiations à la vie spirituelle[2], c’est cette fois-ci au dialogue interreligieux qu’il nous initie. Le dialogue avec l’islam qu’il pratique au Caire, fournit l’essentiel des exemples qui jalonnent le livre. Mais cet ouvrage entend être aussi une introduction au dialogue avec des non croyants comme avec des croyants d’autres confessions chrétiennes.

Le premier abord peut sembler un  peu déroutant, mais c’est à dessein. Considérant que le dialogue est  œuvre de langage, Jean Druel nous fait en effet découvrir quatre niveaux d’énonciation qu’il est essentiel de distinguer. Les énoncés peuvent être scientifiques, dogmatiques, symboliques ou sentimentaux. Chacun de ces niveaux obéit à des règles de vérité et des modes de preuve très différents ; et passer de l’un à l’autre sans crier gare est le plus sûr moyen de crisper les positions et de faire échouer le dialogue.

Ainsi dire que « Jésus et Muhammad sont des personnages historiques » est un énoncé scientifique, relevant des modes de vérification de la science historique.  Mais dire que « Jésus est ressuscité » ou « Muhammad est le Prophète de Dieu » sont des énoncés dogmatiques. Ils ne sont pas prouvables scientifiquement, mais sont fondés et pertinents au sein de la religion dont les instances officielles ou communautaires les ont validés. Ajouter que « la Croix est un arbre de vie » ou que « le Coran est présence de Dieu » se situe dans l’ordre des énoncés symboliques, qui font sens dans une culture située et datée. Quant à « j’ai peur de l’islam » ou « peu m’importe qu’une femme soit voilée ou pas », on est là dans l’ordre du sentiment, qui vaut pour une personne donnée mais ne relève pas des dogmes de sa communauté.

Un vrai débat, nous montre Jean Druel, n’est possible que si on est bien conscient du registre dans lequel se situe un énoncé. Chacun doit être interrogé selon les règles propres à son registre. Règles historiques et scientifiques dans un cas, relevant de l’ensemble des dogmes de la religion concernée dans un autre cas, de la culture considérée, ou de l’interlocuteur pour les autres types d’énoncés. Or, bien souvent, les participants au dialogue croient parler scientifiquement ou prouver des dogmes, alors qu’ils se situent dans un « discours confessant », sans prendre de recul par rapport à leurs convictions.

Cet exercice de distinction des niveaux est une véritable ascèse nous avertit Jean Druel. Et cela d’autant plus que les textes sacrés des religions présentent comme des faits « historiques » des énoncés qui relèvent d’un autre domaine : c’est dans la foi qu’ils produisent leur sens. Le propre de la foi, c’est de tenir pour vrai des évènements qui sont invérifiables, car ils sont d’un autre ordre de réalité. Ainsi entrepris, le dialogue interreligieux, souligne Jean Druel, devient un « dialogue intérieur « (p. 81). Car il permet de découvrir l’existence d’une authentique pensée chez l’autre, de prendre au sérieux sa rationalité, de découvrir son monde conceptuel.

Si l’on s’y prête honnêtement, observe Jean Druel, le dialogue fait de nous des êtres meilleurs. Car si le dialogue peut être, par ses difficultés et souvent ses échecs, une expérience frustrante, il s’avère aussi bouleversant quand on découvre « que  Dieu nous tient ensemble dans sa main, qu’il n’en préfère pas un à l’autre, qu’il nous aime l’un et l’autre avec la même folie » (p. 156).

Ce livre se lit avec attention et intérêt ; les chapitres sont courts, écrits dans un style simple, et les notions introduites par l’auteur sont immédiatement explicitées par des exemples éclairants. Une contribution originale et féconde pour entrer en dialogue.

Bertrand Wallon

[1] Jean Druel

[2] Petit manuel de speed dating avec Dieu : Kit d’urgence pour gens pressés.- Cerf, 2014.-144p., 9€ ; et

Speed dating 2.  Dieu te répond.- Cerf, 2015.- 28p.-12€