Titre

Des tribus en Kabylie

Sous titre

Les At Zemmenzer, de la tribu précoloniale à la reconstruction identitaire berbère

Auteur

Malika Assam

Type

livre

Editeur

Paris : Inalco presses, 2022

Collection

Afrique(s) : sciences humaines et sociales

Nombre de pages

453 p.

Prix

31€

Date de publication

29 avril 2024

En savoir plus

Des tribus en Kabylie : les At Zemmenzer, de la tribu précoloniale à la reconstruction identitaire berbère.

Maître de conférences en Langues et cultures berbères à Aix-Marseille Université (Institut de recherches et d’études sur les mondes arabes et musulmans, IREMAM), Malika Assam livre un ouvrage qui reflète la vitalité des études berbères en France aujourd’hui. Outre qu’il nous renseigne sur une culture et un milieu particulier du monde maghrébin, celui de la tribu kabyle des At Zemmenzer, cet ouvrage propose, en plus, une solide réflexion sur le concept anthropologique de “tribu” et sur celui d’identité en face des bouleversements de l’époque contemporaine.

Sous le titre Tribu et affirmation identitaire en Kabylie, l’auteur consacre ainsi deux chapitres denses mais extrêmement clairs et éclairants : d’abord, à la notion de tribu qui “a effectué un ‘retour’ en sciences sociales à la suite d’un profond renouvellement” (p. 11), puis à celle d’identité dont les “manipulations” et les “essentialisations” successives “ne doivent pas empêcher de se poser la question de l’existence d’entités socioculturelles conscientes d’elles-mêmes avant la colonisation, ainsi que de leurs mutations contemporaines” (p. 71). S’appuyant sur une solide culture scientifique et une ample bibliographie – qu’il contribue d’ailleurs à expliquer et mettre en lumière -, l’ouvrage de Malika Assam ne manque donc pas d’audace.

Au croisement de l’histoire et de l’ethnologie, son objectif est d’”analyser comment s’articulent les phénomènes de réappropriation d’éléments hérités de la société tribale précoloniale ébranlée par la conquête d’une part, et d’autre part, le processus de reconstruction identitaire qui touche la Kabylie depuis le début du XXe siècle, afin de voir ainsi dans quelle mesure on peut encore parler de tribu (arch) en Kabylie aujourd’hui” (p. 22). L’auteure défend la thèse selon laquelle “les discours d’affirmation identitaire berbère ne sont donc pas apparus ex nihilo puisqu’ils puisent dans les discours d’identification collective développés durant la période qui précède la colonisation” (p. 102). Suivant la méthode monographique, “genre ethnologique par excellence” (p. 24) qui n’empêche pas “une analyse totalisante” (p. 27), Malika Assam nous plonge donc dans le monde des At Zemmenzer qui lui est apparu comme “propice à décrire les processus concrets de réappropriation d’éléments de la structure tribale, tout en éprouvant la validité de certains facteurs mis en évidence par ailleurs : la permanence d’une relative prospérité économique et surtout les conséquences induites par les politiques d’administration locale de la période coloniale” (p. 28).

Après cette paire de chapitres théoriques, l’auteure structure son ouvrage en trois parties regroupant chacune trois chapitres d’égale mesure. Intitulée “les At Zemmenzer, une tribu au démantèlement limité”, la première partie est consacrée aux mutations historiques qui sont observables depuis l’époque précoloniale. La deuxième partie est intitulée “Institutions villageoises et tribales chez les At Zemmenzer : permanences, renouvellement et réappropriation après 1980” et met en relief l’ “incontestable tournant” que constitue l’année 1980 marquée par le “Printemps berbère”, à partir duquel s’amorce “un profond renouvellement” des institutions villageoises en lien avec l’essor du mouvement berbère.

L’auteure consacre sa troisième partie aux “réappropriations articulées avec l’affirmation identité berbère” : après l’analyse de parcours de militants et d’associations culturelles, elle cherche à “cerner le point de vue des populations elles-mêmes” en fonction des contextes, consacrant ainsi des pages passionnantes, et souvent illustrées, à la culture matérielle – comme la production de vêtements et de poteries, les transformations de l’habitat -, ainsi qu’aux productions immatérielles comme la littérature qui fait l’objet d’un long développement. Un dernier chapitre est consacré à une réflexion sur la mémoire et sur la langue qui “s’impose dans un travail sur l’identité” (p. 365).

Aussi précise qu’intéressante, cette reconstruction historique de la tribu des At Zemmenzer réussit donc à mettre en évidence “la permanence et les transformations des éléments constitutifs de la société tribale et leur réappropriation en lien avec l’affirmation identitaire berbère” (p. 411). On lira ainsi avec attention les conclusions de l’auteure et notamment celles qui soulignent l’apport de cette étude sur l’articulation entre société tribale kabyle et reconstruction identitaire berbère à l’échelle locale : à savoir comment le rapport de la société kabyle à sa culture a pu se modifier1.

Rémi Caucanas2

Notes de la rédaction

1 A propos de la Kabylie, cf. le livre de Rémi Caucanas sur Jacques Lanfry qui voua sa vie aux études berbères : Jacques Lanfry : un lion, l’Église et l’Islam /Rémi Caucanas ; préf. cardinal Michael L. Fitzgerald, M.Afr. ; postf. Ilaria Macconi Heckner, Fondazione per le Scienze Religiose.- Rome : PISAI (Pontificio Istituto di Studi Arabi e d’Islamistica), 2021.-(Studi arabo-islamici del PISAI ; n°23).

Voir aussi les recensions suivantes :

L’insurrection kabyle de 1871 : représentations, transmissions, enjeux identitaires en Algérie et en France /Isabelle Guillaume (dir.).- Montréal : Les Presses de l’Université de Montréal, février 2021.-(Revue Etudes françaises, vol. 57, n°1, pp. 5-120)

Minorités en Méditerranée au XIXe siècle : identités, identifications, circulations/ sous la direction de Valérie Assan, Bernard Heyberger, Jakob Vogel.-Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2019.-(Histoire)

Sors, la route t’attend : mon village en Kabylie, 1954-1962 /Slimane Zeghidour.- Les Arènes, 2017

Les étoiles se souviennent de tout / Youcef Zirem.- Paris : Fauves éditions, oct. 2018, rééd. janvier 2019

La cinquième mascarade /Youcef Zirem .-Paris : Fauves éditions, 2019

2 Ancien directeur de l’Institut Catholique de la Méditerranée (ICM, Marseille, France), et ancien secrétaire général adjoint du réseau Chrétiens de la Méditerranée, Rémi Caucanas est chercheur associé à l’Institut de Recherches et d’Etudes sur le Monde Arabo-Musulman (IREMAM, Aix-en-Provence, France) et au Pontifical Institute for Studies in Arabic and Islam (PISAI, Rome, Italy). Professeur en histoire de l’Église et histoire des relations islamo-chrétiennes, il a enseigné au Tangaza University College (TUC, Nairobi, Kenya) de 2018 à 2021, et à l’Université Saint-Paul (Ottawa, Canada) en 2022. Il vit aujourd’hui à Belo Horizonte, au Brésil, où il a commencé une résidence post-doctorale à l’Université Fédérale du Minas Gerais (UFMG). Rémi Caucanas est intervenu en visioconférence à l’ouverture de l’Université d’hiver de CDM à Lyon (17-19 mars 2023). Voir aussi ses autres contributions et recensions de livres sur le site de CDM

Retour à l’accueil