Titre
Dieu de la Bible, Dieu du CoranSous titre
entretiens avec Jean-Louis SchlegelAuteur
Thomas Römer, Jacqueline ChabbiType
livreEditeur
Paris : Seuil, 2020Collection
Sciences humainesNombre de pages
287 p.Prix
22 €Date de publication
30 mai 2021Dieu de la Bible, Dieu du Coran.
Un grand spécialiste de la Bible hébraïque et une historienne, orientaliste et spécialiste de l’islam des origines confrontant leur savoir et leurs analyses, dans un langage accessible à tous, voilà qui n’allait pas de soi. Mais leur réunion autour du sociologue Jean-Louis Schlegel1 dont les questions précises et bienvenues donnent un rythme soutenu à l’ouvrage, nous offre un livre à la fois décapant dans son contenu et très stimulant dans sa lecture.
Dans un premier temps, chacun des auteurs s’exprime successivement sur l’émergence et l’originalité de la figure du Dieu unique, dans le contexte de la religion hébraïque pour T. Römer, et de la révélation coranique pour J. Chabbi. Si proches que soient les berceaux géographiques de naissance de ces religions, leur contexte est pourtant extrêmement différent. Les empires assyriens puis babyloniens ou perses et leurs dieux du Ier millénaire, comme, avant eux, l’Égypte du IIème millénaire, ont marqué de leur influence les traits du Yahvé, Dieu unique, tel qu’ils se stabilisent au VIIème s. av. JC à Jérusalem. Les récits bibliques de la Création et du Déluge se relient aux épopées mésopotamiennes ; et le concept d’Alliance des Hébreux emprunte beaucoup à l’allégeance du vassal au souverain assyrien, souligne T. Römer.
L’Ancien Testament ne saurait être traité comme un livre d’histoire, rappelle-t-il. La grande narration du livre de la Genèse a réuni des cycles indépendants, existant en Israël ou en Juda, et qui n’étaient pas liés à l’origine. Abraham, Isaac et Jacob, sont des figures pour lesquelles les témoignages archéologiques manquent pour attester de leur historicité. Ils ont été placés dans une généalogie construite par des scribes et prêtres du milieu royal de Jérusalem pour constituer, au VIème s. av. JC, un “cycle des origines”. La royauté qui s’installait avait besoin d’”annales” qui lui donnent mémoire et légitimité, mais cette chronologie narrative est loin d’être toujours historique.
La Bible grecque complètera et enrichira la Bible hébraïque par des livres écrits en grec au IIème et Ier s. (par ex la Sagesse et le Siracide ou Ecclésiastique) et l’ouvrira ainsi à un nouvel horizon culturel et philosophique.
Comme les autres religions, la religion hébraïque a donc changé à travers les siècles, avant l’apparition du christianisme – une secte juive, à l’origine, devenue religion de l’Empire romain…- comme après celui-ci ; ce qui doit écarter toute lecture “immédiate” ou fondamentaliste des prescriptions bibliques.
De son côté, l’histoire des origines de l’islam que rapporte J. Chabbi est marquée par la forte spécificité géographique et anthropologique de l’Arabie occidentale. Le contexte est celui d’une société tribale, sans structure étatique, dans un milieu naturel hostile. L’alliance avec le divin y reproduit l’alliance entre humains, fondamentale pour assurer l’accès aux rares pâturages et points d’eau. Il ne faut pas y confondre la rhétorique guerrière de certains discours avec la réalité, où il faut négocier pour régler les conflits sans effusion de sang. Le divin est séparé des humains, pour qui il exerce une fonction donatrice, bienfaisante et protectrice. Ce Dieu du Coran est lié à la nature, à la pluie, aux pistes … Seigneur divin, il donne à ses alliés humains des recommandations utiles, et non des commandements solennels (comme le Dieu des Hébreux) car les règles de la tribu suffisent.
Tout changera au VIII/IXème s. de notre ère, après les conquêtes arabiques (qui ne s’accompagnaient d’abord pas de conversions). Le Coran, dont le texte est à peu près stabilisé vers 700 (trois quarts de siècle seulement après la mort de Mohammed en 632), reflétait les structures sociales et mentales du tribalisme arabique de ses origines. Lorsque les Abbassides arrivent brutalement à la tête d’un immense empire, allant de l’Asie au Maghreb, les centres du pouvoir ne sont plus en Arabie, une structure étatique forte se met en place, il faut intégrer des populations urbaines et judéo-chrétiennes. Les “hadiths” qui s’élaborent alors, ces recueils de paroles et actions attribués au prophète de l’islam et à ses premiers compagnons, viennent combler les lacunes du discours coranique. Ils offrent un modèle, une voie à suivre pour les nouveaux convertis, sans que soit pour autant garantie leur cohérence avec le Coran et son anthropologie. Le passé s’inscrit dès lors dans le mythe, relève J. Chabbi.
Mais qu’en est-il aujourd’hui ? Encore largement opposée à une approche historique et critique des textes, la pensée musulmane dominante reste prisonnière d’une lecture sacralisante de son histoire. C’est une “catastrophe culturelle” qui se manifeste par la promotion d’un archaïsme sociétal, infériorisant les femmes, et l’affichage d’un ritualisme exacerbé. Une éducation à la lecture historique reste à faire. Mais les idées peuvent faire silencieusement leur chemin, espère-t-elle.
Et, comme le rappellent en fin d’ouvrage les auteurs, il a fallu plusieurs siècles aux milieux chrétiens pour accepter une approche historico-critique de la Bible, et reconnaître la fécondité de la raison éclairée par le savoir constitué.
Bertrand Wallon
Secrétaire général des Amis de l’IDEO
Administrateur de Chrétiens de la Méditerranée
1 Thomas Römer, professeur au Collège de France (chaire des Milieux bibliques), est spécialiste de L’Ancien Testament. Il a notamment publié La Bible, quelles histoires ! (Bayard ; Labor et Fides, 2014) ; L’Invention de Dieu (Seuil 2014, Points 2017) ; L’Ancien Testament (PUF, Que sais-je, 2019) et, avec Israël Finkelstein, Aux origines de la Torah (Bayard, 2019). Jacqueline Chabbi, historienne et orientaliste, a notamment publié Les trois piliers de l’islam (Seuil 2016, Points 2018). Jean-Louis Schlegel, sociologue, est l’animateur du passionnant dialogue entre Delphine Horvilleur et Rachid Benzine, Des mille et une façons d’être juif ou musulman (Seuil, 2017).