Titre

Gandhi ou L'éveil des humiliés

Auteur

Jacques Attali

Type

livre

Editeur

Paris : Fayard, 2007, rééd. 2012

Collection

Documents

Nombre de pages

544

Prix

23,40 €

Date de publication

18 septembre 2018

Gandhi ou L’éveil des humiliés

Il a paru judicieux de rapprocher le récent essai consacré à Mandela et Gandhi par Eric et Sophie Vinson[1] de l’ouvrage un peu plus ancien[2] que Jacques Attali avait réalisé à propos de Gandhi (1869-1948) et sous-titré « L’éveil des humiliés ».

Il s’agit d’une biographie qui, comme l’écrit l’auteur, retrace « presque jour par jour l’extraordinaire fabrication de Gandhi par lui-même ».

Jacques Attali explique dans son introduction qu’il a voulu parcourir la vie de Gandhi pour essayer de comprendre l’énigme de ce personnage hors du commun : comment ce petit homme timide qui, selon l’auteur, ne fut « ni un théoricien, ni un chef de guerre, ni même un avocat brillant » est-il devenu le maitre moral d’un sous-continent immense et complexe ?

Dans cette recherche, l’auteur montre toute la complexité d’une vie qui chemine au gré des circonstances depuis la petite ville de Porbandar où il accomplit des études si médiocres que sa famille décide de l’envoyer étudier à Londres où il devient avocat et rencontre des intellectuels indiens qui lui font découvrir les textes fondamentaux de l’hindouisme et l’entretiennent de leurs rêves nationalistes.

De retour en Inde, à court d’argent, il part en Afrique du Sud représenter une société indienne. Il passera vingt et un ans dans ce pays dans lequel se situe un évènement crucial de sa vie. Il est jeté d’un train dans lequel, élégamment vêtu, il était monté avec un billet de première classe  et traité  de « coolie[3] ».

Selon Attali, c‘est le moment où se déclencha le ressort fondamental de la pensée et de l’action de Gandhi. « Sa vie est une réponse à une humiliation « écrit-il, celle qu’il a subie ce jour-là, mais aussi celle qu’il découvre chez les immigrés indiens confrontés aux Anglais et aux Boers, plus tard celle des intouchables face au système de castes indien, enfin celle de tous ses compatriotes face au Râj[4] anglais qui exploite l’Inde jusqu’à la misère.

A partir de cet évènement fondateur, sa pensée spirituelle constamment nourrie des grands textes de l’hindouisme, va évoluer et le conduire à une recherche exacerbée de purification. Attali montre qu’elle inspirera indissociablement tant sa vie personnelle que son action politique, le conduisant en particulier à élaborer le principe de non-violence absolue qui régira fondamentalement toutes ses luttes.

Mais le grand mérite de l’ouvrage de Jacques Attali n’est pas tant de relater, après bien d’autres, cette vie fabuleuse que d’étudier l’attitude de Gandhi confronté aux grands drames de son temps : la guerre des Anglais et des Boers, le massacre des zoulous, les deux guerres mondiales, le nazisme, les combats pour l’indépendance de l’Inde.

A cette occasion, Attali relate méticuleusement le duel qui opposa Gandhi au Râj anglais pendant près de trente-cinq années au cours desquelles il acquit en Inde le statut de « père de la nation ». Il décrit avec lucidité et loin des hagiographies, les stratégies de Gandhi, la puissance de sa pensée spirituelle et de sa détermination, mais aussi ses erreurs, ses échecs nombreux, certaines prises de position consternantes. Il montre l’homme avec son génie et ses faiblesses impliqué dans le cheminement chaotique du XXe siècle.

L’ouvrage s’achève sur une évaluation objective de l’héritage de Gandhi. S’il note que certaines formes de lutte se sont volontiers référées à sa pensée, Attali marque nettement à cette occasion la distance qui la sépare, selon lui, de l’action conduite par Mandela.

Il constate plus généralement que la violence gagne partout du terrain, notamment en Inde.

Il conclut cependant en proclamant que, dans un monde qui encourt les pires dangers, la non-violence qui fut l’apport suprême de Gandhi, est la seule stratégie à avoir du sens[5].

Bernard Ughetto

 

[1] Lire sa recension sur notre site

[2] Paru en 2007 chez Fayard, ce livre a été réédité en 2009 par Le livre de poche, 7,90 € puis en 2012 dans une coédition Le Nouvel Observateur et Fayard, collection Les géants du XXe siècle, 4,90 €

[3] Travailleur asiatique

[4] Régime colonial britannique (1858-1947)

[5]  La Journée internationale de la non-violence est célébrée le 2 octobre, jour anniversaire de la naissance de Mahatma Gandhi.