Gaza, s’en sortir sans sortir : ethnographie de la vie quotidienne sous le blocus

Comme l’indique très bien le titre du livre, avec un jeu de mots significatif, Elena Qleibo-Kogan nous présente, en détail, des histoires de vie d’habitants de Gaza dans un contexte d’enfermement (Gaza est considéré par de nombreux observateurs comme une prison à ciel ouvert) en les analysant avec des méthodes de socio-anthropologie : le propos est bien de “témoigner le plus fidèlement possible de ce que les Gaziotes ont vécu et vivent”.

L’auteur est docteur en sociologie, chercheure associée à l’Institut Français du Proche Orient (IFPO) d’Amman. Elle a passé de nombreuses années à Gaza dans le cadre d’une ONG, ce qui lui a permis de travailler dans la durée.

La méthode de travail est classique : elle a réalisé de nombreux entretiens (plus d’une centaine) étalés dans le temps, avec, parfois, des entretiens répétés à plusieurs années de distance auprès des mêmes personnes, de façon à obtenir des éléments représentatifs de la société gaziote qui sont analysés selon une grille thématique élaborée non a priori mais en fonction des premières analyses.

L’ouvrage est composé d’un avant-propos présentant son parcours ; d’une introduction précisant l’objet et la méthodologie ; d’un premier chapitre instructif rappelant l’histoire de Gaza avec ses multiples guerres et l’établissement du blocus (punition), en 2006 ; d’un second chapitre sur les structures qui façonnent la société : la famille et la religion (très majoritairement musulmane) ; d’un troisième et dernier chapitre intitulé Faire face aux épreuves et qui est le cœur de ce livre (208 pages sur 321 !), distinguant l’épreuve du manque de travail, puis l’épreuve de l’enfermement, et de l’exposition au danger.

Il apparaît que l’épreuve du manque de travail est primordiale, risquant de déstructurer la société et la structure familiale, d’autant plus que l’absence de travail pour un chef de famille est une humiliation. Les analyses distinguent les situations de ceux qui ont perdu leur travail à temps plein, ceux dont l’activité s’est réduite, ceux qui ne travaillent plus mais restent rémunérés, ceux qui travaillent mais doivent partager leurs ressources, et ceux qui n’ont jamais eu d’emploi stable. Toutes ces situations peuvent poser des problèmes de survie, et entraînent un repli sur la famille dont le rôle est ambivalent : accentuation de la pression sur les chômeurs, mais aussi lieu de solidarité. Dans ce contexte, les femmes jouent un rôle majeur dans la résilience, cette capacité à se reconstruire après avoir subi un traumatisme.

Quant à la violence et à l’enfermement, c’est le lot quotidien de tous les Gaziotes, qui implique aussi l’impossibilité de se projeter dans l’avenir. Il n’est alors pas étonnant de trouver de nombreux cas dépressifs.

La conclusion reprend un poème de Mahmoud Darwich¹ : “Nous faisons ce que font les prisonniers, nous faisons ce que font les chômeurs : nous cultivons l’espoir…”. Si les Gaziotes résistent à l’adversité, c’est à chaque fois un peu plus difficile, constate l’auteur qui évoque une sorte de dépassement de la peur. Pour lutter contre celle-ci, les Gaziotes profitent d’ailleurs de toutes les occasions de sorties. Malgré cet enfermement (et peut-être à cause des épreuves partagées), ils sont enracinés dans ce lieu au point de ne pas vouloir le quitter.

Ce livre restitue bien un travail rigoureux d’anthropologue s’adressant plutôt à des spécialistes du fait des matériaux rassemblés. Les lecteurs non spécialistes pourront apprécier les deux premiers chapitres mais seront peut-être un peu rebutés par l’accumulation des extraits d’entretiens du chapitre 3 qui est pourtant le cœur du livre².

Xavier Godard

Membre du CA de CDM

Notes de la rédaction