Heureux ceux qui osent la rencontre : des moines en pays d’Islam.

Il y a de ces livres qu’il faut prendre le temps de lire. Heureux ceux qui osent la rencontre : des moines en pays d’Islam en fait partie. Troisième volume d’une collection qui met à la disposition du grand public les écrits des moines de Tibhirine, cet ouvrage sera un outil de méditation autant que d’information pour un lectorat varié. Nul besoin ici de connaissances préalables pour se laisser entraîner ! De même, l’épaisseur du livre ne doit pas intimider !

Car, au début de l’ouvrage, après la brève présentation de Marie-Dominique Minassian¹, le lecteur trouvera les informations et les mises en perspective nécessaires pour entrer aisément dans l’histoire de Tibhirine. Deux textes relativement courts et très clairs constituent ainsi une introduction à caractère historique : le texte de Mgr Henri Teissier, archevêque d’Alger au moment de la disparition des moines de Tibhirinne, et mort peu avant la publication de ce volume, et celui de Jean-Jacques Pérennès op, auteur de nombreux ouvrages sur l’histoire de plusieurs acteurs récents du dialogue islamo-chrétien dont Pierre Claverie, l’ancien évêque d’Oran lui aussi mort en martyr pendant la décennie noire algérienne².

L’ouvrage rassemble ensuite dans trois parties inégales des écrits et des pensées des sept frères assassinés, ainsi que les textes de plusieurs de leurs correspondants et ceux de quelques responsables d’Église. Dans “Annonciation (s)”, une première dizaine de textes fait entrer le lecteur “dans l’histoire de ce désir intérieur d’une communauté en marche, avec toute l’Église : offerte à la Rencontre”.

Le cœur de l’ouvrage se déploie ensuite dans la deuxième partie intitulée “Visitation (s)” et dont le sens est donné par la célèbre méditation de Christian de Chergé sur l’épisode de la visitation de Marie à sa cousine Élisabeth, tirée de la Retraite sur le Cantique des cantiques³ qu’il prêcha aux Petites Sœurs de Jésus en 1990 : “Mon Église ne me dit pas quel est le lien entre le Christ et l’islam. Et je vais vers les musulmans sans savoir quel est ce lien” (p. 57). Les 386 textes qui sont rassemblés ici permettent de suivre cette histoire singulière d’un contact vivant avec l’Islam.

Les textes sont agencés de manière chronologique : d’une intervention de Frère Luc devant la société médicale de Saint Luc à Alger en 1953 et qui commence symboliquement par “Le bon musulman est l’homme juste et charitable” (p. 59) jusqu’au Message du Cardinal Arinze pour la fin du Ramadân en 1996 et qui termine tout aussi symboliquement cette partie de l’ouvrage par l’appel en forme d’interrogation “Pour l’avenir que voulons-nous? La connaissance et le respect mutuels, avec des collaborations fécondes? N’est-ce pas là ce que Dieu veut de nous?” (p. 309). Les textes sont donc de nature, de style et de taille inégales : des conférences côtoient des lettres et des prières poétiques.

Bref, cet ouvrage, et cette deuxième partie en particulier, présentent une cadence bien peu régulière, ce qui, étrangement, n’est pas sans aider la lecture. Parce qu’il multiplie les occasions de pause et de répétition, cet agencement conviendra par exemple à des lecteurs en quête de ressourcement et d’approfondissement spirituel. Et un lecteur plus académique suivra avec intérêt l’évolution des relations islamo-chrétiennes qui, plus que l’écho d’une histoire générale, constitue la source singulière de fulgurances théologiques dont on retrouve ici les expressions multiples et collectives.

Un autre intérêt de l’ouvrage se trouve aussi dans les différentes ressaisies de l’expérience de Tibhirine. Une troisième partie intitulée “Magnificat” rassemble des textes extraits du Bulletin du Ribât es-Salam⁴ parus depuis 1996 dont le fameux “Testament” de Christian de Chergé⁵. Puis, avec deux autres textes, l’ouvrage donne à lire deux “résonances musulmanes”.

Enfin, en forme de postface, est publié, ici, un extrait d’une réflexion de la Communauté de Notre-Dame de l’Atlas à Midelt à partir du texte du Père Jean de la Croix.⁶

Rémi Caucanas

Notes de la rédaction