Titre
Histoire de la SyrieSous titre
XIXe-XXIe siècleAuteur
Matthieu ReyType
livreEditeur
Paris : Fayard, 2018Nombre de pages
398 p.Prix
25 €Date de publication
21 février 2019Histoire de la Syrie
Nul ne peut ignorer aujourd’hui ce qui se passe en Syrie, tant est surmédiatisée la guerre qui ravage le pays depuis huit ans. Des faits égrenés au quotidien, des commentaires ou analyses à chaud, des prises de positions partisanes : trop d’informations partielles ou partiales risquent d’entrainer lassitude ou incompréhension. Il est donc indispensable de lire cette Histoire de la Syrie de Matthieu Rey. Non seulement pour prendre du recul par rapport à l’actualité, mais pour comprendre et décrypter ce qui, dans un passé récent, a contribué à plonger le pays dans la situation que nous connaissons. L’auteur, spécialiste du Proche Orient et chercheur associé au Collège de France, s’appuie sur une importante documentation, une synthèse de travaux universitaires récents et des témoignages recueillis sur place. Il le fait, et il l’affirme lui-même, en se dégageant des passions inévitables qui se mêlent aux événements, attentif simplement à « prendre le passé pour lui-même », sans vouloir « considérer cette histoire de la Syrie comme une lecture des origines de la présente crise ». (p. 393)
Il s’agit d’une histoire contemporaine d’un peu plus de deux siècles. Le premier chapitre s’ouvre sur les « terres syriennes » comportant de multiples provinces de l’Empire Ottoman : Palestine, Cilicie, montagne libanaise, etc. Les populations y sont disparates, aussi bien par leurs origines que par leurs habitats et leurs cultures : Arabes sunnites souvent bédouins, Arméniens, Maronites[1], Kurdes, Druzes, Alaouites, citadins des villes (Damas, Alep…) ou paysans sédentaires, ou encore nomades des caravanes. Des conflits internes émaillent l’histoire de ces peuples, alors que s’effrite le pouvoir central de Constantinople. Les provinces syriennes passent sous le contrôle de l’Egypte au début du XIXe siècle, avant une reprise en main par le Sultan, dans un contexte d’émancipation d’autres provinces (Grèce, Balkans, péninsule arabique,) et d’aspiration à des réformes et à un renouveau d’un monde arabe unifié par l’islam.
Entrainée dans la première guerre mondiale, aux côtés des empires allemand et autrichien, la Syrie se retrouvera placée sous « mandat » des vainqueurs de 1918. La fixation des frontières à l’issue des traités, va individualiser une nouvelle entité, à peu près telle que nous la connaissons aujourd’hui, sur le modèle occidental des États-nations de type westphalien[2]. L’indépendance formelle, obtenue en 1946, ouvre une séquence tumultueuse, ponctuée politiquement par des coups d’État à répétition, et socialement par la renaissance des villes et des campagnes au détriment des nomades, sans compter les migrations internes, les évolutions démographiques, la diffusion d’idéologies contradictoires entre deux modernismes : celui du capitalisme occidental et l’attraction du socialisme soviétique, ou de l’idéal religieux d’un islam politique. Bousculés par les soubresauts de la géopolitique internationale, les pouvoirs successifs oscilleront d’un extrême à l’autre. Les ennemis d’hier (l’Égypte, le royaume hachémite d’Irak…) deviennent des alliés momentanés (cf. l’éphémère République Arabe Unie avec l’Égypte[3], ou le rapprochement avec l’Irak par le même parti Baas). Seule demeurera l’incantation à lutter contre l’ennemi commun : Israël, occasion de développer à l’excès la militarisation du pays. Ces années de tergiversation, et d’affrontements, sont celles où commence à se forger une conscience nationale. En 1970, « des chocs et des luttes, émerge un régime inédit, personnalisé par la famille Assad. Il gèle les divisions sociales et confessionnelles pour les exploiter à son profit, éradique le politique et assure, par la prédation et la répression, l’intégration de certaines composantes de la population et l’arrêt – au moins en apparence – des turbulences ». (p. 10)
L’auteur s’arrête au seuil des années 2011-2012, sans entrer dans l’histoire immédiate. Mais il a réussi à privilégier l’analyse d’une période de deux siècles, de façon claire et pertinente. Le texte est dense, accessible, abordable par tous. On lui saura gré de n’avoir pas insisté sur le déroulement de faits ponctuels, ni abuser de termes techniques, au profit de l’approfondissement de la trajectoire historique du pays qu’il traite de façon chronologique. Outre une trentaine de pages de notes, renvoyant aux sources consultées, le lecteur trouvera un glossaire, une chronologie et une importante bibliographie, de quoi être incité à aller plus loin dans la connaissance.
Au terme de l’ouvrage, on aura compris la complexité de la société syrienne, les ambiguïtés des pouvoirs, les intrusions internationales. C’est une histoire faite d’espoirs, de heurts, d’essais, d’attentes, de luttes, de violences et de projets partagés ou contrariés par des groupes humains très divers et qui tentent pourtant de vivre ensemble sur un territoire déterminé. En 2011, la Syrie n’a pas vécu un « printemps arabe », mais une véritable « révolution ». Reste à souhaiter avec l’auteur que « cet ouvrage serve à la reconstruction d’une Syrie à venir ». (p.395)
Claude Popin
[1] Sur les chrétiens de Syrie, lire, sur notre site, la recension du livre d’Anna Poujeau, en cliquant sur : Des monastères en partage : sainteté et pouvoir chez les chrétiens de Syrie – Nanterre : Société d’ethnologie, 2014.
[2] Pour en savoir plus sur « l’ordre westphalien », cliquer ICI
[3] Pour en savoir plus sur la RAU, cliquer ICI