Titre
Israël et ses paradoxesSous titre
idées reçues sur un pays qui attise les passionsAuteur
Denis Charbit ; préface d’Elie BarnaviType
livreEditeur
Paris : Le Cavalier bleu, 2e éd., 12/04/2018Collection
Idées reçues. Grand angleNombre de pages
360 p.Prix
22 €Date de publication
12 novembre 2018Israël et ses paradoxes
En trois grands chapitres d’une rare complexité, extrêmement riches, documentés, à partir de sources historiques diverses, Denis Charbit[1] nous donne à lire les paradoxes d’un Israël protéiforme.
D’idées reçues, énoncées en question, aux affirmations reprises parce qu’entendues ici ou là, il emmène le lecteur à se questionner, à quitter lui-même ses partis pris pour se forger non pas un point de vue mais pour s’approprier un corpus sur la question israélo-palestinienne.
La posture est intéressante, qui entraîne le lecteur à construire ses propres représentations après chaque idée reçue présentée et démantelée. Chaque sous-chapitre est ainsi développé après une annonce telle que : « Israël est la seule démocratie au Moyen-Orient », ou « Les Arabes israéliens sont des citoyens de seconde zone », « L’antisionisme est le nouvel habit de l’antisémitisme », etc. etc…
Alors, là où souvent nous attendons une prise de position, un parti pris, Denis Charbit décortique, étire l’explicatif pour déconstruire nos propres certitudes. L’auteur creuse profondément jusqu’aux racines sociétales, historiques, voire bibliques, les paradoxes d’Israël.
Parfois ces explications contraires, laissent le lecteur perplexe qui attend une linéarité, des vérités. Et les paradoxes deviennent des Oui… Mais… ou des Non… Mais…
C’est fort bien documenté, les sources historiques sont nombreuses, la démarche universitaire sérieuse, rigoureuse. Elle se veut sans parti pris, mais pourquoi prendre le risque de rendre fade le propos ? Dans cette problématique tellement douloureuse de la question israélo-palestinienne, on se prend à rêver de solutions, de réponses, d’actes réparateurs, or la faiblesse – ou la force ? – de l’énoncé est de ne pas emmener le lecteur vers des résolutions qu’il attendrait de facto. Alors, à la lecture d’Israël et ses paradoxes, l’insatisfaction prend parfois le dessus car nous attendons sans doute que l’auteur prenne davantage position.
Mais cela ne dure pas car il faut aller jusqu’au bout du texte et de ses multiples ressources pour entendre résonner, comme l’écrit Denis Charbit, le texte d’Albert Camus sur ce qui diffère de la tragédie et du drame : « Antigone a raison mais Créon n’a pas tort. […] Le thème constant de la tragédie antique est ainsi la limite qu’il ne faut pas dépasser. De part et d’autre de cette limite se rencontrent des forces également légitimes dans un affrontement vibrant et ininterrompu. Se tromper sur cette limite, vouloir rompre cet équilibre, c’est s’abîmer »…
Mais alors, où se trouve cette limite ? La nommerons-nous ? Mettre dos à dos deux tragédies, deux légitimités, est-ce supportable ? Et comment en finir ? Comment dépasser les antagonismes ? Comment laisser s’installer la justice ? Et comment y croire ?
Camus disait aussi : « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde ».
Et le malheur est présent dans cette région du monde, présent dans le contexte d’occupation, de territoires occupés, de droits humains bafoués, d’arrestations, de vols de terre, de constructions de colonies, de mouvements pour la Paix qui s’épuisent, de soldats qui refusent de servir dans les territoires occupés, de transfert forcé de populations… Font-ils partie de ces paradoxes d’Israël décrits tout au long des chapitres de cet ouvrage ?
Malheureusement, votée le 19 juillet 2018 par la Knesset, la loi sur l’État-nation est-elle un paradoxe ? Assurément non, nous sortons de l’ambiguïté : l’état qui se présentait comme « juif et démocratique » introduit dans sa nouvelle loi une autre définition : « État-nation du peuple juif » et précision supplémentaire : « le droit à l’autodétermination nationale au sein de l’État d’Israël ne concerne que le peuple juif » et autre point de cette loi : « l’État considère le développement des colonies juives comme une valeur nationale et agira pour encourager et promouvoir leur création et leur renforcement »…[2]
Quelles solutions pour ces deux peuples ? Deux États ? Un État binational[3] ?
Après la lecture de l’ouvrage de Denis Charbit qui étonne par son approche originale, je recommanderai de faire lien, avec le dernier ouvrage paru de Michel Warschawski, Israël : chronique d’une catastrophe annoncée… et peut-être évitable[4], et d’en faire une lecture comparée.
Dans le propos de Camus sur la tragédie antique, la réconciliation entre Antigone, qui a raison, et Créon, qui n’a pas tort, pourrait-elle advenir ?
Marilyn Pacouret
[1] Denis Charbit est maître de conférences au département de sociologie, science politique et communication à l’Open University d’Israël à Tel-Aviv. Ses recherches portent sur le sionisme et sur les intellectuels français de l’Affaire Dreyfus à nos jours. Il était l’invité de l’émission Talmudiques sur France Culture le 29/04/2018 et de l’émission Répliques, le 06/10/2018
[2] A lire sur le site de Pax Christi : la Déclaration des Ordinaires Catholiques de Terre Sainte sur la Loi de l’État-nation
[3] Cf. Le Grand Secret d’Israël : pourquoi il n’y aura pas d’Etat palestinien / Stéphane Amar, invité de l’émission Répliques avec Denis Charbit, le 06/10/2018
[4] Israël : chronique d’une catastrophe annoncée… et peut-être évitable, Syllepse, novembre 2018