Titre

Jacques Lanfry

Sous titre

Un lion, l’Église et l’Islam

Auteur

Rémi Caucanas ; préf. cardinal Michael L. Fitzgerald, M.Afr. ; postf. Ilaria Macconi Heckner, Fondazione per le Scienze Religiose

Type

livre

Editeur

Rome : PISAI (Pontificio Istituto di Studi Arabi e d’Islamistica), 2021

Collection

Studi arabo-islamici del PISAI ; n°23

Nombre de pages

508 p.

Prix

35 €

Date de publication

31 octobre 2021

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Jacques Lanfry : Un lion, l’Église et l’Islam

Après la biographie d’Etienne Renaud, Rémi Caucanas1 nous offre celle de Jacques Lanfry (1910-2000). Se plonger dans ce livre, c’est découvrir, à travers ce que fut Jacques Lanfry, un pan d’histoire de la Société des Missionnaires d’Afrique, celle des Pères Blancs, créée en 1868 par le Cardinal Lavigerie2, alors évêque d’Alger. C’est aussi s’immerger dans ce milieu des grands acteurs, ces pionniers des relations islamo-chrétiennes, que furent des religieux comme le dominicain du Caire Georges C. Anawati3, les Pères Blancs : Maurice Borrmans4, Gérard Demeerseman et Robert Caspar ou encore le Petit Frère de Jésus, Louis Gardet5, pour ne citer qu’eux.

Mais c’est aussi, dans la France coloniale de l’entre-deux-guerres, faire le constat d’un changement des vieilles méthodes missionnaires. L’objectif n’est plus de “franciser les Algériens pour les convertir” ; les missionnaires évoluent, cherchent à s’intégrer en se pénétrant de la culture locale et en apprenant la langue du pays d’accueil. Il ne s’agit plus de convertir mais d’aller à la rencontre de peuples.

Jacques Lanfry a tenu une place tout à fait singulière dans la Société des Missionnaires d’Afrique, par son investissement en faveur de la connaissance de la culture berbère et par les responsabilités assumées au sein de la Société des Missionnaires. Après le séminaire de Saint-Sulpice, marqué comme bien d’autres par Charles de Foucauld, il frappe à la porte des Pères Blancs en 1933. À la sortie du noviciat, il est envoyé en Kabylie, dans ce pays berbère, pauvre et isolé.

Il a mené avec un autre Père Blanc, Jean-Marie Dallet (1909-1972), des travaux titanesques dans les domaines de la linguistique et de la connaissance du peuple berbère, accumulant des connaissances aux confins de la sociologie et de l’ethnographie, travaux qui seront reconnus dans les milieux universitaires en Algérie et en France, puis honorés par un hommage à l’INALCO en 1995.

En 1942, Jacques Lanfry est rappelé comme militaire et participe à la Campagne de Tunisie, puis il est envoyé à Ghadamès, en pays berbère, comme aumônier territorial. Il y poursuivra ses travaux ethnologiques. La hiérarchie militaire saluera l’engagement du capitaine-aumônier Lanfry et le berbérisant de “haute classe”.

Démobilisé en 1945, et devenu directeur du Centre d’Etudes Berbères en Kabylie6, il est impliqué dans la formation des jeunes Pères étudiants qu’il s’agit “d’initier à entrer en relation avec les gens du peuple dans le respect de leur personnalité, culturelle et religieuse.” Son originalité tient au fait qu’elle repose sur “les tournées”, des sorties en milieu rural tunisien. Elles permettent l’apprentissage de la langue berbère, vue comme une voie d’entrée dans les milieux montagnards kabyles, et la découverte de la culture kabyle sur le terrain. Deux ans plus tard, Jacques Lanfry est nommé Supérieur de la Mission en Afrique du Nord, puis en 1957, il est élu premier Assistant du Supérieur général de la Société des Missionnaires d’Afrique.

D’après Rémi Caucanas, “l’avenir de Jacques Lanfry se joue, à partir de ce moment-là, de l’autre côté de la Méditerranée, à Rome. Fondée sur une riche expérience missionnaire, une réelle maîtrise des langues arabe et kabyle, et une solide vie intérieure, l’autorité de Jacques Lanfry est prête à une projection universelle.” (p.163)

À partir de 1957, Jacques Lanfry va assurer, en lien étroit avec le père Anawati, la coordination et le secrétariat des “Journées Romaines”, lieu de rencontres et d’échanges pour des religieux engagés dans le monde musulman. Le succès et l’impact de ces journées ont largement contribué au renouvellement du regard de l’Église sur l’islam, préparant ainsi le chemin du Concile et la déclaration Nostra Aetate7.

Lors de la première session, Jacques Lanfry intervient sur “la formation des religieux se rendant en pays d’Islam”, précisant qu’il vaut mieux parler de “peuples musulmans” plutôt que d’”Islam”, car l’Église vivante est appelée à rencontrer moins des livres de doctrine que des hommes et des peuples. Cette formulation dit bien sa vision de la mission et de l’action missionnaire telles qu’il essaie de les transmettre aux pères en formation.

A la suite du Concile Vatican II, Jacques Lanfry est chargé de créer un “Secrétariat pour l’islam” au sein de la Société des missionnaires d’Afrique, ce qui l’amène, dans les années qui suivent, à effectuer de nombreux voyages d’étude dans le continent africain. Il est alors en lien étroit avec le Secrétariat pour les non-chrétiens, créé dans la Curie romaine à la même époque.

En 1974, Jacques Lanfry retourne en Algérie mais, interdit de séjour en Kabylie, il est nommé à N.D. d’Afrique. Le “Secrétariat pour l’islam” évolue en “Service pour l’islam”, support pour aider et former les confrères en responsabilité dans le monde musulman. En 1977, c’est le retour en France, à Ste-Foy-lès-Lyon. Fin 1982 paraît enfin le dictionnaire Kabyle-Français, œuvre réalisée avec son confrère J.M. Dallet. Jacques Lanfry continue ses travaux de traduction – il a entrepris la traduction des Évangiles en kabyle – et rend divers services dans le milieu ecclésial en intervenant dans des rencontres et débats, ou en appui avec le SRI (Service des Relations avec l’Islam de la Conférence des évêques de France). C’est pour lui, dégagé de toute responsabilité, le temps des accompagnements.

Jacques Lanfry s’éteint dans la maison des Pères Blancs de Brie-sur-Marne, le 8 décembre 2000.

Le livre de Rémi Caucanas8 est véritablement passionnant ; il nous fait entrer de façon vivante, par les nombreux extraits de lettres, dans les relations entre les pères de la Société des Missionnaires d’Afrique et leurs divers interlocuteurs, dans une période qui va de l’entre-deux-guerres, en passant par celle de l’Algérie coloniale, jusqu’à la période plus récente de la décolonisation qui aboutit à l’indépendance des pays du Maghreb.

La riche documentation, puisée dans les archives du PISAI, les nombreuses notes, en font un ouvrage de référence pour les chercheurs. Il intéressera aussi le lecteur cultivé, ayant déjà quelques connaissances portant sur les relations islamo-chrétiennes en Méditerranée et sur leurs principaux acteurs.

Louis Boulanger

Membre de CDM

Notes de la rédaction

1 Rémi Caucanas, docteur en Histoire, est chercheur associé à l’Institut de Recherches et d’Études sur le Monde Arabo-Musulman (IREMAM, Aix-en-Provence) et au Pontificio Istituto di Studi Arabi e d’Islamistica (PISAI, Rome). Il a enseigné au Tangaza University College (TUC, Nairobi). Il a été directeur de l’Institut Catholique de la Méditerranée (ICM, Marseille) de 2014 à 2016. Rémi Caucanas a collaboré au livre L’Église et les chrétiens dans l’Algérie indépendante.-Karthala, 2020. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur le dialogue islamo-chrétien et, notamment de : Étienne Renaud, la passion du dialogue .-Marseille : Publications Chemins de Dialogue, 2017 ; Chrétiens et musulmans en Méditerranée : Ombres et lumières de l’entre-deux guerres (1919-1939) / préface de Mgr Jean-Marc Aveline.- Marseille : Publications Chemins de Dialogue, 2017 et de Relations islamo-chrétiennes en Méditerranée : entre dialogue et crispation.- Presses Universitaires de Rennes, 2015.

2 Cf. Conférence de Rémi Caucanas à écouter (50 mn) sur le site des Missionnaires d’Afrique, Pères Blancs : Lavigerie au prisme de trois Pères BlancsHenri Marchal, Jacques Lanfry, Etienne Renaud ou à lire dans son article de la revue Etudes, nov. 2018 : A la rencontre des musulmans : l’apport singulier de la Société des missionnaires d’Afrique. Pour mémoire, pendant la “décennie noire” en Algérie – 1991-1999 -, quatre Pères Blancs furent assassinés, le 27 décembre 1994 dans leur maison de Tizi Ouzou en Kabylie : Armand Duval, père blanc lui-même, a témoigné que leur vie C’était une longue fidélité à l’Algérie.- Paris : Médiaspaul, 2018.

3 Lire, sur notre site, la recension par Christian Lochon du livre sur : Georges Anawati (1905-1994) : un chrétien égyptien devant le mystère de l’islam/ Jean-Jacques Pérennès.- Cerf, 2008

4 Confidences islamo-chrétiennes : Lettres à Maurice Borrmans, 1967-2008 /Jacques Jomier ; préface de Mgr Jean-Marc Aveline.- Marseille : Publications Chemins de dialogue, 2016

6 Cf. Article de La Dépêche de Kabylie, 13/06/2006, évoquant “l’activité scientifique berbérisante” de Jacques Lanfry : Une vie vouée aux études berbères

8 Le livre est à commander à l’association Chemins de dialogue ; prix : 35 €.

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