Titre

Kurdes, les damnés de la guerre

Auteur

Olivier Piot ; préface de William Bourdon

Type

livre

Editeur

Paris : Les Petits matins, 2020 (nouvelle éd. enrichie et actualisée)

Collection

Essais ; 64

Nombre de pages

279 p.

Prix

17 €

Date de publication

13 mars 2021

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Kurdes, les damnés de la guerre.

L’apposition, par sa référence évidente au classique de Frantz Fanon, “Les damnés de la terre”, donne le ton de l’ouvrage : les Kurdes appartiennent aux peuples opprimés et sans droits. Comment, et encore tout récemment, en être arrivé là ? Sans faire de l’histoire, ni de l’ethnologie, ni de la sociologie, l’auteur, journaliste grand reporter indépendant, décrit et explique une situation de fait, évolutive avec le temps. Ce livre, avec des éléments d’une première publication de 20171, court cette fois jusqu’en 2020, enrichi et complété par les derniers événements. Olivier Piot, spécialiste du Proche-Orient et de l’Afrique, mêle ici témoignages, reportages et analyses géopolitiques, dans l’exercice difficile d’écrire une histoire contemporaine encore en marche.

Le peuple kurde, avec ses propres langues et dialectes, ses coutumes, ses pratiques culturelles, sa religion (un islam tempéré de soufisme), est héritier de sa situation géographique et de son histoire. Aux confins de trois grands empires (ottoman, perse, russe), les Kurdes ont vécu dans l’un ou l’autre de ces empires, sous le régime d’une certaine autonomie, mais toujours soumis au pouvoir central. D’où, question de survie, leur esprit de résistance et leurs qualités guerrières. Quand, sous la pression des vainqueurs occidentaux de la Première Guerre Mondiale et de la nouvelle Turquie kémaliste, il ne sera plus question d’autonomie, mais d’intégration dans des frontières d’États, les populations kurdes vont se trouver réparties dans quatre nouvelles “nations” : Turquie, Irak, Syrie, Iran. “Les quatre kystes du Proche-Orient” écrira l’auteur pour désigner ce peuplement kurde dispersé. Chacun de ces pays estimant que “l’autonomie” mène à “l’indépendance”, donc à l’amputation de la nation, les Kurdes resteront ainsi des minorités sans droits, le plus souvent opprimés. On se souvient des morts gazés à Halabja (Kurdistan irakien, en 1991)2 par Saddam Hussein ou des opérations “terre brûlée” dans l’est de l’Anatolie où tout Kurde est considéré par la Turquie comme “terroriste”…

Olivier Piot consacre les deux tiers de son livre à la période 2011-2020. Une décennie qu’il suit pas à pas, pour en comprendre les enchaînements et les développements. Ainsi explique-t-il que, dès 2014, le recul d’Obama, qui ne tient pas ses promesses de fermeté face à l’utilisation d’armes chimiques, marque la perte de crédibilité de l’Occident, brèche dans laquelle vont s’engouffrer la Russie et la Turquie. A ce qui est ici du domaine de la stratégie s’ajoutent bien d’autres éléments explicatifs, d’ordre politique, économique, culturel, social ou religieux. Si aucun n’est prépondérant, aucun n’est négligeable non plus. Mais, et c’est le cœur du livre, quelle est la place des Kurdes dans l’histoire immédiate de ce Proche-Orient en plein bouleversement ?

Les “printemps” arabes en 2011 portaient les espoirs de démocratie et de renouveau politique. Déjà, depuis 2003, le Kurdistan irakien disposait d’une relative autonomie dans l’État fédéral d’Irak. Les Kurdes du nord-est de la Syrie, proches de la frontière turque, vont organiser, à leur tour, leur propre province : le Rojava, en profitant de l’effondrement de l’État syrien. Ils rejoignaient ainsi les opposants à Assad et ses alliés : la Russie de Poutine et la Turquie d’Erdogan qui craint une “contagion” indépendantiste à ses frontières. En 2014, la menace et les exactions de Daesh vont raviver une Coalition occidentale qui interviendra par livraisons d’armes, renseignements et bombardements, heureuse de trouver des combattants au sol avec les troupes kurdes locales. Leurs victoires sur Daesh vont permettre au Rojava de prendre le contrôle de près du tiers de la Syrie. Ce peuple kurde, longtemps oublié, apparaîtra en pleine lumière médiatique. Les noms des lieux d’affrontements sont encore dans tous les esprits : Kobané, Idlib, Raqqa, Palmyre, Mossoul… Qu’attendaient les Kurdes syriens de leur contribution militaire ? Le savaient-ils eux-mêmes ? Ils espéraient d’une part s’émanciper de la dictature d’Assad, et d’autre part, ne voulaient pas tomber sous la coupe des fanatiques wahhabites sunnites de Daesh. Mais pour quel avenir ? Dans les quatre pays où ils restent implantés (comme des “kystes”…), on trouve des partisans de “l’autonomie”, d’autres de “l’indépendance”. Ces clivages sont à l’origine des multiples groupes, mouvements, milices et partis politiques, qui s’affrontent parfois en lutte fratricide et quasi-tribale. L’auteur, qui porte sur les Kurdes un regard empathique exempt d’idéologie, reconnaît que c’est là un obstacle majeur à toute évolution politique, quitte à lasser leurs alliés. D’ailleurs, quand un accord turco-russe en 2019 exigera l’évacuation du Rojava syrien, plus personne ne sera là pour aider les Kurdes.

En 2010, il semblait que seules les démocraties occidentales régissaient les affaires du Proche-Orient. En 2020, cette hégémonie s’est effacée au profit de nouvelles puissances locales : Russie, Turquie, Iran (par milice Hezbollah interposée). Mais c’est toujours la même domination. Les Kurdes, une fois de plus “condamnés à la guerre”, sont toujours renvoyés à leur condition de soumis. Olivier Piot affirme que le Proche-Orient restera en crise tant que le problème kurde ne sera pas pris en compte et solutionné. Un kyste n’est-il pas toujours le symptôme d’un organisme malade ? L’histoire n’est donc pas finie, en attendant que ce soient les peuples qui puissent disposer d’eux-mêmes, et non les intérêts des plus forts… Dans son vocabulaire imagé, on aimera ce proverbe kurde que l’auteur a recueilli en annexe : “Le monde est peuplé d’aigles rapaces, mais le moineau a le droit de vivre”.

Claude POPIN

Notes de la rédaction

1 Avant Le peuple kurde, clef de voûte du Moyen-Orient publié aux éditions Les Petits matins en 2017, Olivier Piot a aussi publié en 2012, en collaboration avec le photographe Julien Goldstein, chez le même éditeur, Kurdistan, la colère d’un peuple sans droits

2 A ce sujet on pourra lire la précédente recension par Claude Popin du livre Les Kurdes en 100 questions : un peuple sans État / Boris James, Jordi Tejel Gorgas.- Tallandier, 2018, et écouter l’émission de France 24 : Irak : Halabja, sur les traces d’un massacre

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