Titre
La guerre des civilisations n’aura pas lieuSous titre
Coexistence et violence au XXIe siècleAuteur
Raphaël LiogierType
livreEditeur
Paris, CNRS Editions, 07/01/2016Nombre de pages
238Prix
19 €Date de publication
22 septembre 2016La guerre des civilisations n’aura pas lieu
Pour Raphaël Liogier, sociologue et philosophe, il ne saurait y avoir de choc des civilisations car la civilisation globalisée est une, et les sociétés de plus en plus mises en contact les unes avec les autres par le biais de la mondialisation et de ce qu’il nomme « le grand bain informationnel[1] ». Les épisodes de violence auxquels nous assistons ne sont pas des oppositions entre blocs idéologiques monolithiques mais des conflits hybrides, mêlant des acteurs nationaux et non nationaux, des intérêts divergents économiques, sociaux, mafieux, identitaires aussi.
En historien, l’auteur rappelle que le concept de « choc des civilisations » a été lancé en 1957 par l’orientaliste Bernard Lewis à l’occasion de la crise de Suez. Le succès de la formule, reprise par Samuel Huntington[2] trente-neuf ans plus tard, témoigne avant tout de la perplexité des occidentaux devant une nouvelle donne géopolitique qui les a délogés de leur posture symbolique dominante.
Pas plus qu’il n’y a de « choc des civilisations » il ne saurait y avoir de « guerre des religions » opposant notamment chrétiens et musulmans. Les tensions se trouvent plutôt à l’intérieur des religions elles-mêmes comme le montrent très clairement les oppositions actuelles entre chiites et sunnites.
De façon suggestive, R. Liogier identifie trois postures traversant toutes les religions : le spiritualisme, le charismatisme et le fondamentalisme. En sociologue, il relève que le premier courant touche en priorité les sociétés ou les segments sociaux les plus richement dotés en capital économique et culturel. Le charismatisme attire, avant tout, les plus pauvres. Enfin, le fondamentalisme propose à ceux qui manquent de reconnaissance sociale ou identitaire le rêve d’un retour à la pureté d’une origine imaginaire.
Ces courants tracent les contours d’une nouvelle géographie socioreligieuse dans laquelle ce ne sont pas les religions qui comptent mais leurs principales tendances. Ainsi un fondamentaliste musulman et un fondamentaliste chrétien peuvent avoir des positions communes concernant la perte des valeurs traditionnelles ou les dérives de la société de consommation. Inversement, à l’intérieur d’une même religion, le fondamentalisme peut prendre des formes violentes ou légalistes, selon les contextes.
Concernant plus spécifiquement la violence djihadiste actuelle, l’auteur souligne les changements profonds introduits par « le grand bain informationnel ». Alors qu’Al-Qaeda était encore un mouvement fortement idéologique, l’Etat islamique, Daech, fonctionne plutôt – en Europe du moins – comme une entreprise de marketing franchisant ses produits : des terroristes, souvent sans éducation religieuse particulière, s’affilient à Daech qui, moyennant l’adhésion à quelques points de propagande, leur assure une publicité maximum et mondiale par le biais des réseaux sociaux.
Deux éléments sont particulièrement intéressants dans cet essai, qui, par ailleurs, n’évite pas toujours les déclarations à l’emporte-pièce ni les facilités de langage.
Tout d’abord, une plongée souvent savoureuse dans ce que R. Liogier nomme le « système religieux mondial » où l’on voit par exemple, que le spiritualisme New-Age peut toucher aussi bien la côte Ouest des Etats-Unis que l’élite dirigeante économique marocaine, comme en témoigne le succès de magazines comme Femmes du Maroc prônant l’épanouissement spirituel à base de yoga et de naturopathie.
Ensuite les conséquences politiques et pratiques, concernant, en Europe même, la lutte contre le terrorisme, que l’auteur tire de l’absence d’une « guerre des civilisations »[3].
Il s’agit avant tout de lutter contre les conditions économiques et sociales favorisant sur notre sol l’attrait pour la violence djihadiste.
Il s’agit aussi de lutter contre une tendance idéologique régressive qui voit dans l’autre – immigré, musulman, étranger… – un élément inassimilable et donc dangereux qu’il convient de juguler ou d’expulser, mettant ainsi en danger le fondement des démocraties.
Laure Borgomano
[1] Expression employée à propos de la circulation des informations grâce à Internet.
[2] Dans son livre, Le choc des civilisations.- Ed. Odile Jacob, 1997.- rééd. 2000 : http://www.odilejacob.fr/catalogue/sciences-humaines/economie-et-finance/choc-des-civilisations_9782738108395.php
[3] On pourra écouter Raphaël Liogier dans 2 émissions de France-Culture :
– Le grain à moudre, le 20/01/2016, où il était, avec Alexandre del Valle, l’invité d’Hervé Gardette, pour répondre à la question : L’Europe est-elle tentée par le « choc des civilisations » ? : http://www.franceculture.fr/emissions/du-grain-moudre/leurope-est-elle-tentee-par-le-choc-des-civilisations – Répliques, le 20/02/2016, où il était, avec Gilles Kepel, l’invité d’Alain Finkielkraut, sur : Les leçons du 13 novembre : http://www.franceculture.fr/emissions/repliques/les-lecons-du-13-novembre-2015