Titre

La guerre et la paix

Sous titre

Abd el-Kader et la France

Auteur

Ahmed Bouyerdene

Type

livre

Editeur

Editeur : Paris : Vendémiaire, 2017

Collection

Bibliothèque du XIXe siècle

Nombre de pages

639 p.

Prix

28 €

Date de publication

24 octobre 2017

La guerre et la paix

 

 

Chercheur en histoire et docteur en études méditerranéennes et orientales, Ahmed Bouyerdene réussissait, dans un premier livre : Abd el-Kader, l’harmonie des contraires.- Seuil, 2008[1], la gageure d’une biographie à double entrée, historique pour le chef de guerre résistant au colonisateur, spirituelle pour le grand mystique de l’islam du XIXe siècle. Avec ce nouvel ouvrage sur Abd el-Kader, il n’est pas exagéré de dire que le lecteur va trouver de nouveaux et multiples intérêts. Mais d’abord, de quoi s’agit-il ?

La guerre et la paix : Abd el-Kader et la France n’est pas une nouvelle biographie de l’émir algérien. A peine un chapitre sur son enfance et ses premières années de combat (1808-1847). Tout juste un épilogue pour son exil en Turquie et en Syrie (1852-1883). L’essentiel de l’ouvrage se concentre sur les cinq années (1847-1852) où Abd el-Kader est prisonnier en France. Mais ce n’est pas non plus l’itinéraire spirituel de l’émir qui a mis à profit sa réclusion pour une retraite d’étude et d’approfondissement intérieur de sa foi. Il s’agit bien, selon le sous-titre, d’ « Abd el-Kader et la France ».

Voilà la longue histoire, méconnue, souvent occultée et peu explorée, d’un parjure national français, commis par des politiciens qui n’ont rien osé, face au Ministère de la guerre souvent aux mains d’anciens généraux « africains » passés par l’Algérie. C’est l’occasion pour Ahmed Bouyerdene d’analyser finement la portée des derniers événements militaires de 1847 (pression des Français, conflit avec le Maroc, isolement international…) et de décrypter les mécanismes de pensée qui conduisent Abd el-Kader à déposer les armes pour épargner son peuple. Un geste d’humanité, profondément ancré dans une pensée humaniste et religieuse, tout à l’honneur de celui qui avait, en son temps, respecté les règles de la guerre, désavoué le massacre de soldats français à Sidi-Brahim et favorisé les échanges de prisonniers, alors que ses adversaires pratiquaient la politique de la terre brûlée et tous les excès de la guerre totale. Le 21 décembre 1847, Abd el-Kader s’en remet « aux décrets de Dieu » et aux autorités françaises : le général Lamoricière et le duc d’Aumale, fils du roi. Ce sont eux qui acceptent la reddition et promettent, puisqu’Abd el-Kader se livre volontairement, de favoriser son transfert vers Alexandrie et La Mecque. Promesse non tenue : l’émir et les siens sont retenus prisonniers, d’abord dans l’inconfort et l’humidité d’un fort de Toulon, puis aux châteaux de Pau et d’Amboise, en piteux état à cette époque. La  propagande dira qu’ils sont « les hôtes » de la France… Mais l’Histoire retiendra que l’honneur national et la parole donnée ont eu beaucoup moins de poids que les militaires peureux et rancuniers, et que les politiques incapables de comprendre la grandeur d’un geste.

Si l’auteur nous en apprend beaucoup sur les cinq années « françaises » d’Abd el-Kader (premier intérêt…), c’est qu’il organise son récit historique selon un scénario digne d’un roman situé dans la « Grande Histoire », en donnant une place privilégiée aux personnages. Et d’abord, l’émir lui-même, avec sa douce obstination à demander le respect de la parole donnée, sans résignation mais toujours dans la dignité, même dans la misère morale et physique  de ses prisons, avec aussi ses multiples interventions et rencontres. Autour de lui, comme un ballet de seconds rôles, on s’attache à ceux qui le soutiennent : ses interprètes, d’anciens adversaires, des journalistes (Girardin…), des politiques (Falloux, Ollivier…), et des étrangers comme le Suisse Eynard ou l’Anglais Londonderry. On comprend comment, peu à peu, Abd el-Kader suscite une grande popularité, à laquelle contribue un Victor Hugo qui dénonce « la parole violée ». L’ennemi d’hier est devenu le noble et illustre prisonnier…

Après des pages émouvantes sur la captivité d’Abd el-Kader, on arrive au moment fort du 16 octobre 1852 où le Prince-président, futur Napoléon III, vient lui-même, à Amboise, annoncer la libération du prisonnier et des siens. Il avait fallu cinq ans pour que la France se montre magnanime, et (la propagande aidant…) fasse mieux que l’Angleterre qui avait retenu Napoléon Ier à Sainte-Hélène…Tout cela est raconté dans une langue fluide, limpide, accessible. A tel point qu’en refermant le livre, on a peine à quitter ces héros devenus familiers. C’est bien le second intérêt de l’ouvrage.

Pourtant (troisième intérêt…), ce n’est pas un « roman ». Ahmed Bouyerdene n’invente pas, ne fabule pas, ne brode pas. Il est à peine exagéré de dire que chaque phrase du texte, chaque assertion, est authentifiée par une référence historique ou documentaire. Près de 100 pages de renvois sont nécessaires pour citer les sources diplomatiques ou biographiques, algériennes, françaises, anglaises, pour éclairer une situation ou un personnage, pour renvoyer aux écrits d’Abd el-Kader et de ses proches. On devine le travail immense, exigeant et rigoureux, qu’a demandé une telle recherche. Les historiens les plus pointilleux y trouveront une mine de renseignements, souvent inédits.

Et le grand public, même non averti, sera entré en empathie avec un héros exceptionnel : Abd el-Kader, ce grand homme, qui méritait bien ce beau livre d’une histoire qui est en partie la nôtre.

Claude Popin

[1] Voir sa recension, par Christian Lochon, sur notre site.