Recension

Titre

La question de Palestine, tome 5

Sous titre

1982-2001 : La paix impossible

Auteur

Henry Laurens

Type

livre

Editeur

Fayard, 23/09/2015

Nombre de pages

878 pages

Prix

36,00 €

Date de publication

22 septembre 2016

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La question de Palestine, tome 5

Avec ce cinquième tome, Henry Laurens, professeur au Collège de France, poursuit sa magistrale étude de La question de Palestine depuis le XVIIIe siècle. Ces presque 900 pages couvrent moins de 20 années, mais combien cruciales à la fin de notre XXe siècle. C’est dire l’ampleur et la profondeur du sujet, la précision des faits, des dates, des textes et des négociations, bref, une somme qui fera date, indispensable pour ne pas en rester à des considérations simplistes ou idéologiques quand on aborde le conflit israélo-palestinien.

L’ouvrage s’ouvre dans la fureur de la guerre que mène Israël au Liban en 1982 et s’achève sur la déception du semi-échec de Taba en 2001. Entre ces deux dates, les violences de chaque camp sont encore dans toutes les mémoires. Mais on aurait tort d’oublier que c’est aussi la période d’intenses négociations à Madrid, Oslo, Camp David… L’auteur joue donc sur deux registres parallèles : celui des faits de guerre et celui des initiatives diplomatiques. Il en propose une chronique extrêmement détaillée, presqu’au jour le jour, avant de dégager ce qui est proprement de l’histoire : les évolutions politiques internes en Israël et en Palestine et le contexte géopolitique où sont impliqués l’Egypte, la Syrie, les Etats-Unis et l’Europe. Rien n’est laissé de côté. Henry Laurens explique les mentalités, les avancées, les blocages, les revirements et les principaux points d’achoppement. Il le fait en suivant de très près les protagonistes : au fil des chapitres, ces politiques ou ces négociateurs nous deviennent familiers, soulignant ainsi l’importance du facteur humain dans ce type de conflit. Et dans cette galerie de portraits, l’auteur ne se prive pas de déboulonner les statues. Itzhak Rabin n’est pas aussi pacifiste qu’on veut bien le dire. Et les rodomontades, les mensonges et l’exercice autoritaire du pouvoir ont trop souvent jalonné le parcours de Yasser Arafat, tandis que Bill Clinton s’est laissé enfermer dans ses partis-pris et ses préoccupations électoralistes…

A aucun moment, Henry Laurens ne prend position ni ne penche d’un côté ou de l’autre. Mais sa neutralité objective l’oblige à constater la disproportion des forces sur le terrain. En témoignent le décompte des victimes qui ponctue régulièrement les récits des attentats et des ripostes, ainsi que les échanges inégaux de prisonniers. Pour trois ou cinq victimes israéliennes, c’est souvent une centaine côté palestinien. Autre disproportion aussi : l’intransigeance forte d’Israël pour défendre sa terre et sa sécurité, et la faiblesse des Palestiniens divisés (OLP, Hamas, Fatah, Hezbollah…) et surtout à peine soutenus par l’ensemble du monde arabe. Il est par exemple assez ahurissant que les dernières négociations de Camp David et de Taba aient achoppé sur le statut de Jérusalem, alors que cette ville sainte aurait dû concerner l’ensemble du monde musulman. Les Palestiniens se sont retrouvés bien seuls…

Ce conflit, au départ nationaliste (quelle souveraineté, sur quels territoires ?) s’éternise et entraîne avec lui d’autres dérives. Henry Laurens montre bien la radicalisation et l’extrémisme qui, progressivement, contaminent l’affrontement. Les partis ultras en Israël infléchissent la politique d’intransigeance (avec Netanyahou, par exemple). Le Hamas et autres groupes djihadistes par leur guérilla et leurs attentats, annihilent tout effort de conciliation. Ce sera bientôt une guerre médiatique : c’est à qui exhibera, le plus haut, la barbarie de l’autre pour se poser en victime. A ce jeu-là, Israël sera vite mis en difficulté. Mais la dérive religieuse n’est pas loin : l’échec de Taba sur la question de Jérusalem n’est-il pas dû en partie à la sacralisation d’une terre que chacun revendique comme sienne ?

Le livre s’achève sur cette période et ces prémices d’autres fondements pour d’autres affrontements. Il aura fallu près de vingt ans de négociations pour constater que rien ne pourra être réglé sur le fond tant qu’on s’en tiendra aux détails. Et le fond, c’est l’incompréhension de deux mondes culturels, l’irréductibilité du double « syndrome du saumon », cette remontée sur la terre d’origine, 2000 ans pour Israël, avant 1948 pour les Palestiniens. Pourtant, écrit Henry Laurens, si une solution doit être trouvée au XXIe siècle, ce ne pourra être que sur la base des dernières négociations de Taba[1] qui ont marqué les avancées les plus positives jamais atteintes, à savoir : Israël reconnaît aux Palestiniens 97% de la Cisjordanie, accepte le principe de la partition et propose que Jérusalem devienne la capitale des deux états. Les quartiers arabes reviendraient aux Palestiniens, les quartiers juifs aux Israéliens.

Mais il reste des points essentiels qui opposent les deux parties : un véritable accord sur Jérusalem, la sécurité de l’Etat hébreu et la question des réfugiés palestiniens. Après six jours de négociations, le sommet de Taba s’achève sur un échec.

Espérons qu’il suffira d’un sixième et dernier tome pour clore « la question de Palestine » ![2]

Claude Popin

[1] A la suite de l’échec du sommet de Camp David, la deuxième intifada éclate en septembre 2000. Cinq mois plus tard, Bill Clinton convoque d’urgence Ehoud Barak et Yasser Arafat, avec l’espoir de ramener le calme à Gaza et en Cisjordanie. C’est le sommet de Taba, du 21 au 27 janvier 2001, dans la péninsule du Sinaï, au bord de la mer Rouge : http://www.slate.fr/story/43969/palestinepedia-palestine-israel

[2] A lire : L’entretien de Jean-Christophe Ploquin avec Henry Laurens  dans La Croix du 20//11/2015 :

http://www.la-croix.com/Actualite/Monde/Le-conflit-israelo-palestinien-est-national-et-religieux-2015-11-20-1382994