La question kabyle dans le ­nationalisme algérien, 1949-1962 : comment la crise de 1949 est devenue la crise berbériste.

“De toutes les questions qui ont dominé le débat historiographique, la construction identitaire et la conception de la nation sont parmi les plus brûlantes. La crise dite ‘berbériste’ de 1949 au sein du PPA/MTLD¹ dont traite Ali Guenoun² s’y rattache”. Dans sa postface, Mohammed Harbi³ met clairement en perspective l’apport essentiel que représente l’ouvrage d’Ali Guenoun. Avec pour objet la crise qui, en 1949, secoue le parti de Messali Hadj⁴, il s’agit en réalité de questionner la fabrique de l’identité algérienne à un moment crucial de son histoire. Car, dans les années qui suivent la Deuxième guerre mondiale, le projet d’une Algérie indépendante est encore tiraillé entre plusieurs visions nationales. La crise de 1949 apparaît alors comme un point de bascule ; confortant les partisans d’une Algérie arabo-musulmane au détriment de ceux qui, comme plusieurs lettrés kabyles, prônent, dans l’esprit d’un républicanisme éclairé, une Algérie avant tout algérienne, respectueuse de sa diversité culturelle et linguistique.

Grâce à une étude des sources ample et audacieuse, voire courageuse, Ali Guenoun met en lumière cette crise dite “berbériste” qui, à bien des égards, apparaît comme un piège identitaire sur le chemin de l’indépendance algérienne et dont les blessures ne sont pas encore bien pansées aujourd’hui. Structuré en deux grandes parties, l’ouvrage permet ainsi de suivre son auteur dans une enquête documentée et une étude approfondie d’un moment qui s’étale de 1949 à 1962 mais qui n’est pas sans avoir laissé des traces plus lointaines.

Dans les huit chapitres qui constituent la première partie, l’auteur s’attache à l’étude de la crise de 1949 elle-même. Il analyse, par exemple, les différentes formes de manipulation des discours, qu’ils soient historiques, mémoriels, indigènes ou coloniaux. Il s’intéresse aussi au parcours des acteurs de cette crise, en amont mais aussi en aval de la crise, tirant au passage des lignes de perspectives souvent bien éclairantes. Dans le huitième chapitre, l’auteur s’attache ainsi à décrypter la bataille mémorielle qui, tel un conflit des mémoires, a pendant longtemps fait rage autour de cet événement de 1949.

L’ouvrage suit cependant une courbe chronologique. Et dans les cinq chapitres qui composent la deuxième partie, l’auteur explore la période qui aboutit au déclenchement des hostilités par le FLN⁵ en 1954 et à l’indépendance en 1962. Restant centré sur la dimension kabyle, il s’intéresse plus particulièrement à la montée en puissance de la Wilaya 3 et de son chef, Belkacem Krim⁶.

Fruit d’un travail de recherches de plus de dix ans et d’une thèse de doctorat soutenue en Sorbonne en 2015, cet ouvrage s’adresse d’abord à de bons connaisseurs de l’histoire contemporaine de l’Algérie. Parce qu’il est une belle pièce d’historiographie, il intéressera cependant aussi des étudiants qui y trouveront une véritable leçon de méthode, de sérieux, sans oublier une belle qualité littéraire, appréciable pour aborder un sujet pointu.

Mais parce qu’il renouvelle un questionnement plus large sur la dimension kabyle de l’Algérie moderne et la gestion du pluralisme culturel dans ce pays, cet ouvrage devrait rencontrer l’intérêt de toutes celles et tous ceux, qui, soixante ans après les Accords d’Evian⁷– le 18 mars 1962 –, s’interrogent encore, souvent avec passion, sur le destin de l’Algérie.

Rémi Caucanas⁸

Notes de la rédaction