Titre

La Syrie au-delà de la guerre

Sous titre

Histoire, politique, société

Auteur

Manon-Nour Tannous

Type

livre

Editeur

Paris : Le Cavalier bleu, 2022

Collection

Idées reçues

Nombre de pages

181 p.

Prix

21€

Date de publication

14 mai 2023

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La Syrie au-delà de la guerre : histoire, politique, société.

Pour entrer dans la logique de cet ouvrage, il faut tenir compte du cahier des charges de la collection “Idées reçues” dans laquelle il est publié. Son but est de partir d’un ensemble d’affirmations qui courent les rues sur un sujet donné, et de les passer au crible de la critique. Les auteurs qui se plient à cette discipline doivent à la fois avoir une connaissance approfondie, sinon encyclopédique, de leur sujet, mais aussi s’engager sur un terrain où la polémique est la règle. Pari brillamment relevé par Manon-Nour Tannous, maîtresse de conférence en Science politique, chercheuse en Histoire contemporaine et journaliste comme rédactrice en chef de la revue Mondes arabes. Le sujet est périlleux, la Syrie, certes, “au-delà de la guerre”, mais sa violence est toujours sous-jacente à la réflexion menée.

Les “idées reçues”, il faut d’abord les exposer. Elles sont 17, chacune développée dans un chapitre et l’ensemble est distribué en trois parties selon l’annonce du sous-titre : histoire, politique et société. Il faut bien qu’une quatrième partie soit consacrée, non pas explicitement à la guerre, mais aux “bouleversements” causés par le soulèvement de 2011. Ainsi le seul recensement des idées reçues figurant à la table des matières est intéressant en soi. Mieux vaut pourtant donner un aperçu de chacune des parties pour mieux découvrir la richesse de l’ouvrage et les éclairages qu’il donne sur le drame de la Syrie.

En liminaire est donnée une “Définition” de ce que recouvre le terme “Syrie”, depuis son origine grecque, où il désigne le vaste espace qui va de la Méditerranée aux rives de l’Euphrate. Là, ont régné les souverains assyriens, et c’est d’eux que vient le nom du pays. Les Romains en ont fait une province. Suit un rapide survol de l’utilisation du terme sous les empires musulmans et à l’époque moderne. Puis une introduction donne les règles suivies pour la transcription de l’arabe (Manon-Nour Tannous apparaît parfaitement bilingue en arabe et français), et les critères qui ont présidé au choix des “idées reçues”.

Dans la partie Histoire, prenons le chapitre “L’écriture a été inventée en Syrie”. D’entrée de jeu, la réponse est négative. Mais un aperçu est donné des recherches modernes qui ont fait redécouvrir en Syrie les archives écrites de civilisations entières, dont la fameuse Ougarit Ras-Shamra, et plus tard Palmyre avec sa reine Zénobie.

Le chapitre “La Syrie est le cœur du nationalisme arabe” tient son titre d’une citation de Gamal Abdel Nasser. Il consiste en une brillante synthèse sur le nationalisme arabe depuis son émergence au 19ème siècle au sein de l’empire ottoman. La “Nahda1” (renaissance) s’est alors attachée à réhabiliter la langue et la culture arabes et à faire entrer l’arabe dans la modernité. Dans le bouillonnement intellectuel qui se développe avant et après la Première Guerre mondiale, le nationalisme arabe s’incarne par excellence dans le nationalisme syrien, profitant des luttes d’influence entre la France et le Royaume-Uni dans la région. Mais jusqu’à aujourd’hui persiste la tension entre l’arabité commune et les traits particuliers des divers États (p.40).

“Les chrétiens en Syrie sont en voie de disparition” : dans la deuxième partie État et société, le chapitre qui traite de cette “idée reçue” est l’occasion d’une histoire de la présence chrétienne en Syrie depuis l’antiquité. A l’époque moderne, les massacres perpétrés par l’Empire ottoman à l’encontre des Arméniens et d’autres minorités chrétiennes ont conduit à un exil qui a fait diminuer de manière constante le nombre des chrétiens. La guerre civile depuis 2011 a accéléré ce mouvement, bien qu’il y ait eu des chrétiens parmi les opposants comme parmi les partisans du pouvoir. Le risque pour eux est aujourd’hui d’être “instrumentalisés” en un “enjeu politique qui les dépasse” (p.67).

Dans la troisième partie, La Syrie, sa région et le monde, mentionnons seulement les deux chapitres intitulés “La Syrie est une place stratégique dans la lutte contre Israël” et “La Syrie et la Russie sont liées par une alliance stratégique”. Le jeu subtil de luttes et d’ententes qui lie les acteurs régionaux, Israël, Iran, Turquie, Russie, sur fond d’une présence américaine réduite, est décrit avec ses épisodes armés, comme les frappes d’Israël contre les forces iraniennes, de l’aviation russo-syrienne sur Idleb et de la Turquie contre le Nord-Est contrôlé par les Kurdes.

La quatrième partie, La Syrie bouleversée par le soulèvement de 2011, contient quatre chapitres, dont il suffit de lire les titres pour comprendre l’intérêt : “La guerre en Syrie est un complot”, “C’est soit Assad, soit Daech”, “Les réfugiés syriens envahissent l’Europe” et “La crise syrienne signe la fin du système onusien”.

La conclusion souligne que si la situation en Syrie intéresse à nouveau, c’est pour sa similitude avec la situation de l’Ukraine envahie par la Russie, sans négliger les différences. Car “contrairement à une ultime idée reçue, la guerre n’est pas terminée” (p.162). Le maintien au pouvoir de Bachar El Assad ne signifie pas le retour au statu quo ante, l’insécurité est durable et se développe une crise économique sans précédent. Nouveauté non encore mentionnée par le livre, le narco-trafic est devenu comme une institution d’État, source principale de revenu pour le parti au pouvoir, ce dont les États voisins s’inquiètent de plus en plus.

A la fin on trouve une riche bibliographie, comprenant aussi des films et des œuvres littéraires ; et, en “Sources”, les ouvrages qui ont été utilisés (p.173 à 181).

Aujourd’hui paraissent de nouvelles études sur la Syrie. Dans le cadre thématique contraignant de la collection, Manon-Nour Tannous a évité avec élégance la dispersion. Sans conteste elle a ouvert la voie à un rebond de l’intérêt pour ce pays dévasté.2

Jean-Bernard Jolly
Administrateur et webmestre de Chrétiens de la Méditerranée

Notes de la rédaction

1 Cf. Art. d’Anne-Laure Dupont dans Le Monde diplomatique , août-sept. 2009 : Nahda, la renaissance arabe

2 Cf. L’émission Histoire de… sur France Inter, dimanche 19/12/2022, à 13h22 : Patrick Boucheron recevait Farouk Mardam-Bey et Manon-Nour Tannous.

Voir aussi le reportage de France Culture sur les réfugiés syriens en Turquie face à la montée de la xénophobie (58 mn)03/06/2022

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