Titre

La Turquie d’Erdogan

Auteur

Anne Andlauer

Type

livre

Editeur

Monaco : Ed. du Rocher, 2022

Nombre de pages

249 p.

Prix

19,90 €

Date de publication

23 octobre 2022

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La Turquie d’Erdogan.

L’évaluation de la situation sociale et politique en Turquie est bien difficile si l’on ne veut pas en rester aux images immédiates d’un bloc monolithique mené d’une main de fer par un Président tout puissant, au pouvoir depuis près de vingt ans. La réalité est autrement plus complexe et plus fragile, c’est ce que montre très bien ce livre d’Anne Andlauer, journaliste correspondante de plusieurs médias francophones. Cette évaluation est d’autant plus importante que la Turquie se prépare à fêter le 100e anniversaire de sa fondation et à voter, en principe, en juin 2023. Or des signes indéniables de contestation s’accumulent, comme l’élection d’opposants d’Erdogan aux mairies d’Istanbul et d’Ankara. La popularité du Président est entamée et sa crédibilité atteinte.

L’auteure commence son parcours en montrant, à partir d’interviews, comment la jeunesse turque prend des distances avec Erdogan qui met en avant “un discours sécuritaire et qui dirige l’AKP* comme une entreprise familiale”. Il écarte Darwin, mais il promeut l’islam, notamment à travers des lycées religieux. Il divise la jeunesse avec, d’un côté, les jeunes musulmans, de l’autre les “vandales-LGBT-terroristes”. De nombreux jeunes, souvent sans emploi, rêvent de départ.

Suivent trois chapitres qui montrent comment le président cherche à verrouiller des libertés fondamentales, le droit des femmes, l’exercice de la politique, la liberté de la presse.

Si les femmes ont obtenu le droit de vote dans certaines régions de Turquie dès 1936 (dix ans avant la France), l’égalité hommes-femmes ne figure plus dans les priorités du pouvoir. Les féminicides se comptent par centaines chaque année. Des lois ont été votées après des meurtres médiatisés, mais elles ne sont pas appliquées. Erdogan a souvent dit son aversion pour la cause féministe, qui “refuse la maternité”. Les voiles des femmes se multiplient dans les universités ou dans l’armée, ce qui aurait été inconcevable il y a vingt ans.

Dans le domaine politique, le discours est celui de la peur et de la division. Le régime se replie sur lui-même, sur ses fidèles, sur l’identité nationale, dénonçant ses ennemis, le mouvement politique pro-kurde, les organisations de gauche ou les écologistes, qui se manifestent de plus en plus bruyamment depuis 2015. Des milliers de militants de l’opposition sont emprisonnés pour terrorisme y compris treize anciens députés. Une tentative de coup d’état en juillet 2016 sonne l’alarme : le pays est profondément divisé jusque dans ses structures étatiques. C’est l’occasion de purger les forces armées, la justice et l’administration de tous les partisans de Gülen, l’opposant historique installé aux États-Unis : 125 000 fonctionnaires sont limogés.

Dans un système politique aussi tendu, les journalistes sont suspects. Soixante d’entre eux ont été arrêtés et mis en prison pour des années surtout depuis le coup d’état de 2016. La nébuleuse médiatique pro-Erdogan s’étend par l’achat de groupes de presse qui donnent au chef de l’État un quasi-monopole des médias traditionnels. Les quelques médias indépendants ont des audiences très limitées. Ils sont tolérés mais constamment surveillés.

Derrière cet exercice autoritaire du pouvoir, se dessine la volonté secrète de Recep Erdogan de rendre à son pays une grandeur passée. Il s’en donne quelques moyens, un palais gigantesque, un retour à l’identité ottomane, une politique étrangère de plus en plus active pour reprendre un leadership sur tout le Moyen-Orient. Il renoue avec une vieille “synthèse turco-islamiste” qui flatte son électorat. Il essaye d’exister sur la scène internationale en se rapprochant de la Russie et en prenant quelques distances avec l’OTAN.

Pour terminer ce très riche parcours, l’auteure discute toutes les raisons qui font que l’adhésion à l’Union européenne traîne indéfiniment. Elle conclut son livre en discutant de l’accueil des Syriens, de la reconversion de Sainte-Sophie en mosquée, et des inquiétudes de nombreux Turcs devant les éventualités de très importants tremblements de terre.

Après vingt ans de pouvoir, l’année 2023 sera décisive pour Erdogan et la Turquie1.

Pierre de Charentenay

 

*AKP, initiales en turc de “Parti de la justice et du développement”, le parti présidentiel.

1 Sur la Turquie, on pourra lire aussi les livres suivants recensés sur notre site :

Russie-Turquie : un défi à l’Occident ? /sous la dir. d’Isabelle Facon.- Paris : Passés composés, 2022

La Turquie, un partenaire incontournable /Didier Billion.- Paris : Eyrolles, 2021.- (Découvrir et comprendre)

Le sabre et le turban : jusqu’où ira la Turquie ? /Jean-François Colosimo.- Paris : Cerf, 03/12/2020

La nouvelle Turquie d’Erdogan : du rêve démocratique à la dérive autoritaire /Ahmet Insel.-Paris : La Découverte, 2017, éd. 2015 revue et augmentée.- (La Découverte/Poche, Essais, n° 462)

Turquie, année zéro/ Kadri Gürsel.- Paris : Cerf, 2016.- (Le poing sur la table)

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