Titre

L’Asphyxie

Sous titre

Raqqa, chronique d’une apocalypse

Auteur

Hussam Hammoud et Céline Martelet ; traduit de l’arabe par Marcel Alin

Type

livre

Editeur

Paris : Denoël, oct. 2022

Collection

Documents

Nombre de pages

180 p.

Prix

18 €

Date de publication

22 juin 2023

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L’Asphyxie : Raqqa, chronique d’une apocalypse.

Raqqa, belle cité sur l’Euphrate1, partage avec Mossoul la grande épreuve d’avoir été la capitale de l’État islamique à partir de 20152. Céline Martelet, journaliste, et Hussam Hammoud, journaliste raqqaoui, publient dans ce livre émouvant 26 témoignages de 7 femmes et de 19 hommes. 13 d’entre eux restés ou revenus à Raqqa, 6 exilés en Turquie3, 5 en France, 1 au Liban, 1 en Grande-Bretagne.

Le témoignage de Hussam résume les trois occupations successives de sa ville : “J’ai éclaté en sanglots quand Raqqa a été libérée du régime Assad, le 6 mars 2013. Je pouvais sortir sans craindre les Chabihas4. Puis, l’insécurité a régné à nouveau ; des jeunes ont rejoint les groupes islamistes. En mai 2013, des Daechis ont fusionné avec le Front Al Nosra5. Comment un Irakien pouvait-il décider de faire de notre ville un fief terroriste ?” Hussam est kidnappé à Markada et torturé par des Maghrébins. Il sera échangé contre des Daechis prisonniers de l’Armée syrienne libre.

Ce que les citoyens de Raqqa reprochent d’abord aux terroristes daechis c’est que la plupart étaient des étrangers. Inas a vu “des Chinois, des Européens, des Russes”. Pour Bachir, “les Tunisiens étaient les plus redoutables”. Elias, chrétien, était gardé en prison par “un Français très jeune, blond, aux yeux bleus et la barbe longue qui lui demandait pourquoi il ne voulait pas devenir musulman”. Tarek a été torturé par des Européens qui parlaient mal l’arabe.

Ola décrit : “Les femmes étrangères passent leurs journées dans les boutiques internet à parler avec leur famille en Europe. On entendait toutes les langues.” Maabad, réfugié en France, est révolté d’entendre “des Français ayant rejoint Daech expliquer devant la justice qu’ils sont venus aider les Syriens de Raqqa. Ils ont tué des centaines d’activistes soulevés contre le régime Assad. Les enfoirés !”

Adham leur reproche leur fanatisme : “Les discours de Daech ont été ciblés contre les chrétiens”. Najah, chrétienne, rapporte que chaque année, les chrétiens devaient verser une taxe de 7 grammes d’or par personne. Daech avait fait de l’église un local de la Hesba6, police religieuse. Ils enfermaient les gens au sous-sol, où nous célébrions les mariages, les baptêmes”. Ola, dont le mari avait été arrêté, essaya de témoigner au tribunal. Le juge égyptien refusa de l’entendre et exigea que son fils de 11 ans parle à sa place.

Les Daechis interdisent la musique (Abdulsattar), brûlent les livres (Ahmed)7, ferment les écoles (Ismaël), et transforment le Musée en snack : “Ils y faisaient des grillades sous les mosaïques byzantines” (Mohamed Izzo, Conservateur).

La cruauté des Daechis est rappelée par Hamza : “Jamais nous n’aurions imaginé ces piles de cadavres”, par Maabed : “Daech enlevait les activistes et les jetaient dans l’Euphrate avec deux balles dans la tête”, par Ola : “Des femmes syriennes étaient lapidées ; ces monstres faisaient venir un camion rempli de cailloux et ils les jetaient sur la femme accroupie les mains dans le dos”. Ammar commente la décapitation au couteau de son camarade. Des geôliers battent à mort un enfant de 14 ans affamé qui leur demandait à manger (Hussam). 30 coups de fouet étaient infligés pour avoir fumé une cigarette, 59 coups de fouet pour une femme qui ne portait pas le hijab.

Hamza accuse les Daechis de “vivre dans la schizophrénie, corrompus à l’intérieur, moralistes à l’extérieur, d’obliger les gens à faire la prière dans la mosquée mais ils ne la faisaient pas”, de même qu’Omar. “Les Daechis prenaient du Captagon et du haschisch, fumaient les cigarettes prises en contrebande.”

-o-

En juillet 2017, Raqqa8 fut intensément bombardée par la Coalition occidentale pendant qu’au sol, Daech faisait régner la terreur. La ville fut détruite à 80% (Bilal). Pensons à l’émotion de la docteure Souad : “Vous, Occidentaux, devez savoir que vous nous tuez une deuxième fois en nous associant à nos assassins !”

Christian Lochon

Administrateur de CDM

1 Raqqa fut la capitale d’été des Califes abbassides au Xe siècle.

2 Yassin Swehat révèle que les Daechis à Raqqa enlevèrent et assassinèrent tous les révolutionnaires syriens, in Écrits libres de Syrie : de la révolution à la guerre / sous la direction de Franck Mermier.-Paris : Classiques Garnier, 2018, p.109.

3 La Turquie accueille aujourd’hui 3,7 millions de Syriens ; Gaziantep, à la frontière syro-turque, 450.000 !

4 Les Chabihas sont la police politique du régime Assad.

5 Front Al Nosra, milice syro-étrangère affiliée à Al Qaïda.

6 Police des mœurs de Daech.

7 Raqqa est la ville de naissance du grand romancier syrien, également médecin, Abdel Salam al-Ujayli dont deux livres ont été traduits en français, Damas téléférique.- Paris : Publisud : UNESCO, 1984 et Les lanternes de Séville.- Paris : J.C. Lattès, 1988.

8 (Note de la rédaction) A lire : La femme, la vie, la liberté : au cœur du chaos, la maire de Raqqa raconte /Leïla Mustapha, Marine de Tilly.-Paris : Stock, 2020 ; rééd. 2022.- (coll. J’ai lu : témoignage ; 13592), 8€.

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