Titre
Le califatSous titre
Histoire politique de l’islamAuteur
Nabil MoulineType
livreEditeur
FlammarionCollection
Champs. HistoireNombre de pages
288 pagesPrix
9 €Date de publication
14 janvier 2017Le califat
Voilà un petit livre dont l’actualité ne fait aucun doute, dans le contexte bouleversé du Proche-Orient d’aujourd’hui. Nabil Mouline, chercheur au CNRS, est à la fois historien et politologue. Ses ouvrages précédents ont porté sur les rapports entre pouvoir politique et autorité religieuse, notamment au Maroc et en Arabie Saoudite.
Il raconte ici, en remontant aux prémices de l’islam, l’histoire de cette institution politico-religieuse née en Arabie au VIIe siècle. Dans un premier temps, il s’attarde sur le contexte préislamique des états de la région. Quelle que soit sa dénomination, le chef (d’une tribu, d’un état,) est toujours celui qui contrôle les ressources et les forces armées, et à qui on attribue (ou qui s’attribue…) une légitimité sacrée par sa proximité avec la divinité. Politique et religion ne font qu’un. Le prophète Muhammad ne dérogera pas à la règle : il réussit à monopoliser l’autorité religieuse et le pouvoir politique en se présentant comme l’instrument d’Allah. C’est sa légitimité théocratique. Ses successeurs adopteront le terme khalîfat (nous en avons fait le « calife »,) qui désigne le représentant ou le porte-parole de Dieu, Allah étant le seul roi et seigneur.
Mais qu’en est-il justement de ces « successeurs » ? Qui va diriger la nouvelle communauté ? Le plus proche de la famille ou de la tribu du prophète ? Le plus sage ? Le plus fort ? On sait que sur les quatre premiers « califes », trois mourront assassinés. C’est assez dire les luttes internes pour le pouvoir politique. Alors, sous les Omeyyades à Damas (661-750) ou les Abbassides à Bagdad (750-1258) se met en place une théocratie qui va progressivement transformer l’islam, de religion messianique en une civilisation à vocation universelle. Cela se fera grâce à des interprétations controversées des versets du Coran ou le recours (voire l’invention…) de hadîths (récits des faits du prophète). Ce califat, qui emprunte beaucoup dans son cérémonial et son organisation au monde perse voisin, et encore plus à l’empire chrétien byzantin, va devenir, au fil du temps, l’âge d’or de l’islam, la réalité de l’histoire s’effaçant au profit du mythe, du rêve et du fantasme.
Car, après 1258, l’intrusion des Mongols et le choc des Croisades, le califat va perdre son aura au profit de la caste des ulémas, ces juristes qui vont figer et codifier la loi et les pratiques. D’autres califats indépendants vont apparaître, comme celui de Cordoue par exemple, bientôt celui des Ottomans qui récoltera les fruits de la conquête de Constantinople. L’unité de la communauté musulmane est brisée, le territoire arabe est soumis aux Turcs. Seul subsiste le souvenir fantasmé, enjolivé et mythique de la splendeur des premiers califats. Quand, en 1924, l’institution est définitivement abolie par Atatürk au profit d’une république laïque d’inspiration occidentale, le monde musulman se sentira orphelin et certains prêts à suivre n’importe quel aventurier.
« Une grande partie des musulmans ont une vision idéalisée, anhistorique, sinon anachronique du califat depuis le Haut Moyen Age » écrit l’auteur. Dans sa conclusion, il insiste sur le fait que le califat est une création humaine, une organisation qui s’est mise en place dans des circonstances bien particulières à la disparition du prophète. Incapable de s’adapter aux nouvelles conditions d’un monde qui a évolué depuis 15 siècles, le califat est aujourd’hui pris en otage par des organisations, Al-Qaïda ou Daech, qui prétendent apporter la solution globale à tous les maux de l’islam : une seule communauté, une seule loi, un seul chef. Bien qu’ils utilisent des méthodes violentes contraires à l’islam, on ne peut les comprendre en dehors de leur dimension religieuse. « Celle-ci, écrit l’auteur, devrait être plus que jamais prise au sérieux, la croyance étant, dans un monde musulman qui peine à franchir le Rubicon de la modernité, un moteur de l’action. »
Claude Popin