Les chrétiens et la guerre d’Algérie : religion, guerre et société, 1954-1962

L’auteur, professeur à l’Université de Tours, dont la thèse a été éditée sous le titre : Missionnaires français en terre d’islam : Damas 1860-1914,¹ consacre désormais ses recherches à l’histoire religieuse au Maghreb.

Dans la continuité des travaux d’Etienne Fouilloux et de ses disciples, sur les chrétiens en guerre d’Algérie², outre l’énorme travail sur archives dans le Service historique de la Défense³, Jérôme Bocquet a mené de très nombreux entretiens avec une cinquantaine de témoins et dépouillé quantité de journaux. Grâce à une grande maîtrise de toutes ces sources, cet historien présente un livre accessible à toute personne : pédagogique, et d’un volume raisonnable.

Ses champs d’approche sont multiples. Il présente les chrétiens en métropole; ceux qui ont dit non à la guerre, dont l’audience a été amplifiée par leurs adversaires qui leur reprochaient leur manque de patriotisme; les attentistes, qui furent les plus nombreux en métropole; la position prudente, voire attentiste, de la hiérarchie ecclésiastique.

L’éventail des chrétiens en Algérie, catholiques et protestants, est, lui aussi, remarquablement contrasté: les points de vue des Français Pieds-Noirs ne sont pas ceux des appelés, différents de ceux de la hiérarchie des militaires de carrière, des ultras de l’Algérie française aux pratiques terroristes après l’échec des journées des barricades et du putsch des généraux. En arrière-plan, les chrétiens débattent sur les sessions du concile de Vatican II; ceux qui veulent conserver l’institution dans ses pratiques, ses modes de pensée, s’opposent bien évidemment à ceux qui considèrent que l’Église doit s’ouvrir sur le monde, comprendre ses évolutions.

Une atmosphère de violence extrême est l’arrière fond dominant marqué par le terrorisme des deux bords: le FLN contre les partisans de l’Algérie française. L’atmosphère de la guerre froide est envahissante à une époque où le parti communiste français est omniprésent dans le monde ouvrier et intellectuel, où le monde soviétique soutient les revendications d’indépendance des peuples colonisés et des Algériens en particulier.

Les risques pris par les partisans de la décolonisation sont énormes ; le quotidien La Croix perd une partie de ses lecteurs, l’hebdomadaire Témoignage chrétien subit la censure à de très nombreuses reprises, les prêtres, la Mission de France⁴, le Prado⁵, et les chrétiens subissent les sarcasmes de la hiérarchie militaire et les condamnations du gouvernement français, la CFTC⁶ en Algérie perd des adhérents. L’apogée de la contestation porte sur les pratiques de la torture, révélées par les appelés du contingent.

L’historien porte une attention particulière au point de vue des personnes modestes. Dans l’analyse des journaux paroissiaux dans un coin de Lorraine, il constate l’occultation des préoccupations des appelés et des travailleurs immigrés du bassin de la sidérurgie pourtant tout proche.

Parmi ces personnes modestes, il révèle l’évolution d’une grande figure peu connue : Marcel Reggui, Algérien, converti au catholicisme, membre d’un groupe Esprit, militant socialiste, professeur à Orléans, qui, malgré le deuil de deux frères assassinés en mai 1945, lors des massacres de Sétif, veut concilier l’indépendance de l’Algérie avec la construction de nouveaux rapports avec la France.

Voilà un très grand livre⁷ qui invite à la réflexion et permet de comprendre de l’intérieur les différents moments de cette tragique guerre ; il est remarquable de constater le rôle de ceux qui furent lucides devant les désastres de la guerre, ils jouèrent par la suite un rôle essentiel dans le monde politique, universitaire et dans la société civile.

Eugène Blanc

Notes de la rédaction