Titre

Les Français d’Algérie ; précédé de Cinquante ans après et suivi d'un document inédit de Jacques Derrida,

Auteur

Pierre Nora

Type

livre

Editeur

Paris : Ch. Bourgois, 2012 ; éd. de 1961 revue et augmentée (sera modifiée en 2019).

Nombre de pages

339 p.

Prix

17 €

Date de publication

5 avril 2022

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Les Français d’Algérie

Voici un livre qui a conservé une grande partie de la charge sulfureuse qu’il présentait au moment de sa première publication, en mars 1961, quelques jours avant le “putsch des généraux”1. Pierre Nora2, jeune agrégé d’histoire rentrant en métropole après deux années d’enseignement à Oran, y présentait une analyse quasi-ontologique de la population européenne d’Algérie qui, dans ce contexte passionnel, provoqua une vive polémique.

Soixante ans après sa première publication3, cet ouvrage constitue une référence dans le débat – sur la mémoire de cette période -, rouvert par le rapport Stora et les récentes initiatives prises par le Président de la République française4.

Les trois premiers chapitres décrivent la réalité de cette société colonisatrice et sa relation singulière avec les autochtones. D’emblée on découvre, sous la plume brillante de l’auteur, une société sans unité qui – transcendant de criantes inégalités entre les grands colons propriétaires d’immenses domaines et les modestes employés et petits commerçants d’origine européenne-, ne se rassemble qu’autour d’une passion nationaliste intransigeante qui repose pour tous sur l’idée que “le maintien de la souveraineté française leur [paraît] l’unique garantie contre le dépouillement pur et simple” ainsi que sur une peur fantasmée des musulmans.

Cette conviction se conjugue, selon l’auteur, avec un racisme affirmé5 à l’égard des populations musulmanes auxquelles l’accès à la citoyenneté sera longtemps combattu par un lobbying efficace. On saisit, dès lors, comment cette société s’enferma dans “une forme d’immobilisme historique suicidaire” et fut incapable de concevoir une solution pour sortir de l’impasse dans laquelle l’avait plongée ce singulier modèle colonial, auquel de son côté la métropole ne s’intéressait que sporadiquement. Cet ultranationalisme se conjuguant avec “l’effondrement de la société musulmane” dont Nora montre clairement qu’il ne fut pas “le résultat d’une économie mais d’une politique“, provoqua in fine, chez les musulmans, le désir de former une nation, ce qu’ils n’avaient jamais éprouvé auparavant.

Sur le plan politique, l’historien dénonce les renoncements, spécialement ceux dont se rendirent coupables les gouvernements de gauche de la IVe République, sous la pression des Français d’Algérie qui se plaignaient inlassablement de n’être ni compris ni aimés.

Puis il s’attaque, de manière plus polémique, au mouvement libéral colonial qui cherchait sous différentes formes à promouvoir l’intégration des indigènes. Il en dénonce rudement les illusions, ainsi que les projets mal définis qui varient au fil des circonstances. Surtout, il tance l’incapacité de cette tendance à dépasser l’illusion de l’intégration tardive, en recourant à l’économie, alors que Nora voit clairement que seule une solution politique conduisant à l’indépendance est désormais réaliste. Cette analyse le conduit à mettre en cause, avec une certaine audace, les positions de Germaine Tillion et d’Albert Camus.

Dans la dernière partie – “Un new deal pour l’Algérie” -, Pierre Nora s’efforce de réfléchir aux conséquences de l’indépendance imminente, que seule la poursuite de la guerre retarde, et tente de dessiner les contours d’un nouvel État qui pourrait être le cadre d’une réconciliation.

L’histoire a, par bien des aspects, anéanti les espoirs concernant cette réconciliation qui se cherche encore en empruntant des voies incertaines.

Bernard Ughetto

Adhérent de CDM

1 Le 21 avril 1961, éclate en Algérie une tentative de coup d’État fomentée par les généraux Maurice Challe, André Zeller, Raoul Salan, Edmond Jouhaud, “un quarteron de généraux en retraite“, selon l’expression du chef de l’État de l’époque, le Général de Gaulle.

2 Pierre Nora, grand historien, académicien, spécialiste de la mémoire collective, a publié, notamment, Les lieux de mémoire collectif / sous la direction de Pierre Nora.- Gallimard, 1997.- (Quarto) ; Historien public.- Gallimard, 2011 ; Présent, nation mémoire Gallimard 2011 ; Recherches de la France .- Gallimard, 2013 ; Jeunesse.- Gallimard, 2021.

3 L’ouvrage, publié en 1961, a fait l’objet d’une nouvelle publication, en 2012, augmentée d’un dossier critique comportant notamment la réponse de Germaine Tillion ainsi que le point de vue de Jean Lacouture. Elle reproduit également la lettre que Jacques Derrida (né en Algérie) adressa à Pierre Nora au moment de la première publication.

4 Voir à ce propos Les questions mémorielles portant sur la guerre, la colonisation, et la guerre d’Algérie par Benjamin Stora, sur le site de L’Elysée et deux Regards de Daniel Rivet sur le site de Chrétiens de la Méditerranée : Mémoire de la guerre d’Algérie, en Algérie et en France (28/09-2020) et Mémoire de la guerre d’Algérie. Quelques propositions pour parvenir à “une mémoire équitable” Paul Ricoeur (05/10/2020). 

5 Dans l’introduction à l’édition originale, Charles-André Julien, ancien secrétaire du Haut comité méditerranéen et de l’Afrique du Nord, rappelait: “C’est un fait qu’on n’a pas suffisamment souligné que le racisme s’est développé parallèlement à l’expansion coloniale”. L’antisémitisme, plus répandu qu’en métropole et partagé pour des raisons particulières par les musulmans, est étudié, quant à lui, au chapitre 3 de l’ouvrage.

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