Titre
Les IntranquillesAuteur
Azza FilaliType
livreEditeur
Tunis : Elyzad, 2014Nombre de pages
216 p.Prix
18,50 €Date de publication
6 janvier 2015Les Intranquilles
Après Ouatann, (en arabe, pays, patrie et foyer) en 2011, qui évoquait la Tunisie « grise » et « fissurée » pré-révolutionnaire des années 2008-2009, voici le dernier roman d’Azza Filali, professeur de gastro-entérologie et l’un des auteurs importants de la Tunisie actuelle. Il se passe de février à octobre 2011, entre la révolution du 14 janvier et la veille du vote ayant porté le parti Ennahdha au pouvoir.
La romancière met en mots le désordre, les bouleversements et les inerties apparaissant dans la vie de personnages auxquels les chapitres s’attachent alternativement, croisant peu à peu les destins. Les saisons elles-mêmes, printemps précoce ou été tardif, sont « inquiètes » comme sont « intranquilles » ces hommes et ces femmes dont les corps manifestent les troubles des temps.
Ainsi Hechmi, jeune islamiste originaire de Redeyef, ville minière du sud-ouest tunisien, garde-t-il trace sur le ventre des tortures subies dans les prisons de Ben Ali. Ce détail, maintes fois repris, révèle la présence toujours prégnante d’un système d’oppression qui a brisé sa vie. Il devient le porte-parole des demandes dérisoires de ceux qui, déçus par l’absence de tout changement et par les joutes verbales des politiciens de Tunis, savent que leur « moins mauvais destin » demeure d’être « rongé jusqu’à la moelle » par le phosphate. Et c’est dans son pays natal qu’il reviendra pour, peut-être, construire une nouvelle histoire d’amour.
Jaafar, chef du personnel dans une entreprise privée se réveille un matin avec une tache sombre au milieu du front, qui grandit et le tourmente jusqu’à ce qu’il se livre à la police pour avoir prélevé de l’argent dans les comptes, en connivence avec le directeur. En prison il travaille à l’atelier de menuiserie, ce qui lui rend la paix de l’âme.
Sa femme Zeineb manifeste une insensibilité générale au monde qui finit par la handicaper car sa peau ne retient plus les odeurs ni les parfums et elle se protège d’une vie de couple sans amour en s’offrant des « aubes buissonnières » pleines de lectures.
Leur fille Sonia, belle étudiante aux jupes ultra courtes en voie de se marier, est affligée d’un défaut de prononciation qui lui fait avaler les fins de mots lorsqu’elle est émue. Dans une bousculade de la foule, place de la Kasbah où la police encadre les manifestants, la simple pression d’une main d’homme sur son bras la fait basculer dans un monde inconnu, celui du désir et de l’amour fou.
Bien d’autres parcours de vie sont ébauchés encore.
Il est périlleux de se risquer à faire entrer en littérature l’actualité. Ce roman campe, sans prétention et avec bonheur, à petites touches, un portrait ironique de la société tunisienne post-révolutionnaire ; il décrit un petit peuple désemparé par la flambée des prix, des hommes et des femmes tiraillés entre l’extrémisme islamiste et les habitudes occidentales, en proie à l’incertitude, aux effrois et aux espoirs d’une liberté qui n’a pas été encore pensée.
« Demain, des milliers de demain seraient à vivre. Vivre, enfin… »
Pascale Cougard