Titre
Les Kurdes en 100 questionsSous titre
Un peuple sans ÉtatAuteur
Boris James, Jordi Tejel GorgasType
livreEditeur
Paris : Tallandier, sept. 2018Collection
En 100 questionsNombre de pages
377 p.Prix
16,50 €Date de publication
14 mai 2019Les Kurdes en 100 questions. Un peuple sans État
En Irak et en Syrie, la guerre contre l’État islamique autoproclamé a été remportée, au moins militairement, par les troupes au sol principalement kurdes au sein d’une coalition internationale. Et soudain, l’attention médiatique a propulsé sur le devant de la scène mondiale la « question kurde », celle de ce « peuple sans État », selon le sous-titre du livre.
Voilà donc un ouvrage bienvenu pour mieux connaître un acteur-clef dans l’élimination de Daech, peu connu parce que jamais désigné puisque n’entrant pas dans la nomenclature officielle des états adhérant à l’ONU.
Les deux auteurs, chercheurs et professeurs dans divers Instituts ou Universités, spécialistes du Proche-Orient[1], ne cachent pas leurs intentions : « L’ambition de ce livre est de proposer au lecteur un tour d’horizon sans complaisance de la situation des Kurdes et du Kurdistan du passé jusqu’à nos jours ».
Le « passé » semblera mince à qui s’intéresse vraiment à l’histoire. Seules quelques indications sont données sur l’origine de ce peuple, ses mythes, son identité reconnue et les traces d’une organisation politique. Mais c’est très logique puisque l’histoire des Kurdes se confond avec celle des États environnants : Turquie, Syrie, Iran et Irak, héritiers des grands empires byzantin, perse et ottoman. Les Kurdes, « peuple des frontières », dispersés dans « leurs seules amies : les montagnes », n’ont jamais pu surmonter leurs antagonismes et parvenir à l’unité. Pourtant, les chapitres consacrés à leurs frontières, leurs langues, leur culture (littérature, cinéma…) leur religion (un islam sunnite avec une forte présence de confréries soufies) : tout cela indique bien une identité géographique, ethnique, linguistique, culturelle et religieuse, caractéristiques d’un peuple en droit d’aspirer à une autonomie.
L’histoire, on la rejoint à la fin de la première guerre mondiale, avec le traumatisme du traité de Sèvres en 1920[2], puis celui de Lausanne en 1923[3]. Les puissances signataires, principalement occidentales, ont réorganisé la région selon leurs intérêts (France, Angleterre…) et selon l’émergence de la Turquie nationaliste de Mustapha Kemal. Il n’y aura pas de Kurdistan indépendant. « Les peuples des frontières » (comme l’Arménie, vite phagocytée par la nouvelle URSS) ne seront que des minorités dispersées dans différents États.
Quatre chapitres suivent la situation de ces différents Kurdistans : turc, iranien, irakien et syrien. Une extrême diversité et complexité apparaît alors selon les politiques des états centraux. En Turquie comme en Irak, ces Kurdes minoritaires sont exposés à toutes les exactions. Véritable guerre dans l’est de la Turquie, massacre en Irak (on se souvient des gazés d’Halabja[4]). Des partis politiques et des mouvements de résistance apparaissent, se regroupent, se divisent. Il n’est pas facile de suivre les parcours différents de toutes ces composantes. Le lecteur sera aidé, par une importante nomenclature des sigles. Mais il faudra compter aussi sur la versatilité des politiques étrangères occidentales, russes ou moyen-orientales. Le PKK en Turquie, parti kurde d’inspiration marxiste, ne sera-t-il pas considéré comme terroriste par la Turquie et les États-Unis, avant d’être soutenu par les mêmes, face à Daech ? A la chute de Saddam Hussein en 2003, un Kurdistan irakien autonome va voir le jour, mais sans unité, disputé entre deux tendances : le clan Barzani au nord autour d’Erbil, et le clan Talabani au sud avec la ville de Souleimanyie.
L’irruption de l’État islamique et les différentes interventions étrangères vont rebattre les cartes, et les Kurdes seront mis à contribution en première ligne. Ce faisant, ils ont repris une place importante sur l’échiquier géopolitique de la région, et leur économie en profite, ce qui est l’objet du dernier chapitre. L’autonomie du Kurdistan irakien est celle du développement, déjà sensible grâce à la rente pétrolière et aux ressources en eau de leur pays de montagnes.
La formule de la collection En 100 questions est intéressante car elle permet de courts textes de deux ou trois pages sur un sujet bien défini. En contrepartie, on n’évite pas toujours quelques répétitions nécessaires pour contextualiser les éléments de réponse, sans que ce soit gênant… Ce qui est proposé peut être très général : « Qui sont les Kurdes ? » – « La société kurde est-elle tribale ? » – soit très particulier : « Qui est Leyla Zana ? » – « Qu’est-ce que la république kurde de Mahabad en 1946 ? » – sans compter les questions qui fâchent : « Les Kurdes ont-ils participé au génocide des Arméniens ? » – « Israël est-il le principal allié des Kurdes au Proche-Orient ? » – ou parfois des questions insolites : « Les Kurdes ont-ils inventé le flamenco ? »…
À ce livre, écrit dans la situation de 2018, avant la chute effective de Daech, il manque une 101è question que le lecteur est en droit de se poser : qu’est-ce que les Kurdes attendent en reconnaissance de leur participation militaire victorieuse ? Leur histoire est jalonnée de trahisons et de déceptions, qu’elles viennent de leurs voisins immédiats ou des grandes puissances planétaires. Cent ans après le traumatisme des traités de 1920, la question kurde se pose plus que jamais dans un monde en recomposition. Seul l’avenir le dira, et l’avenir, c’est demain.
Claude Popin
[1] Boris James est chercheur à l’Institut français du Proche-Orient et ancien responsable de son antenne à Erbil (Kurdistan irakien). Jordi Tejel Gorgas est professeur titulaire à l’université de Neuchâtel (Suisse) et chercheur associé de l’Institut des hautes études et du développement, à Genève.
[2] Traité de Sèvres, 1920 : pour en savoir plus, cliquer ICI
[3] Traité de Lausanne, 1923 : pour en savoir plus, cliquer ICI
[4] Sur le massacre des Kurdes d’Halabja, cf. France 24 : cliquer ICI